Faut s’y faire !

Les charmes cachés du Vietnam. Cela fait plus de vingt ans que je ne cesse de les découvrir pour mieux les apprécier. Ce qui n’empêche pas de trouver quelques pépins dans la pâte !

Ceux qui me lisent depuis longtemps le savent bien : sans être un thuriféraire du Vietnam, j’apprécie son mode de vie au point d’y avoir installé mes pénates.

Certes, en bon Occidental que j’étais, il m’a fallu m’adapter à des us et coutumes, parfois à des années-lumière de ce que mon éducation m’avait préparé. Avec beaucoup d’humilité et encore plus d’empathique curiosité, j’ai appris à comprendre les valeurs qui fondaient la société vietnamienne. J’ai appris à m’adapter à des comportements qui m’auraient paru étranges du côté de ma Seine natale, alors qu’ils sont tout à fait logiques du côté du fleuve Rouge ou du Mékong.

En vivant, en parlant, en pensant vietnamien, j’ai senti l’âme de ce pays pour mieux l’appréhender tout en conservant un regard souvent amusé, parfois étonné, quelquefois désabusé sur des habitudes que j’ai fait mienne. Mais mon assimilation se heurte aux limites de l’acculturation et il me reste quelques petites choses qui, malgré les années écoulées, continuent à me hérisser les moustaches. Petit florilège de ces démangeaisons exogènes !

C’est le pied

Pour moi, le confort de la marche passe par la parfaite osmose entre le pied et la chaussure. Pour bien baguenauder (et croyez-moi, on baguenaude beaucoup au Vietnam !), il faut que la chaussure se moule parfaitement au pied, au point que l’organe et l’accessoire ne fasse plus qu’un. Et cette fusion ne peut s’effectuer qu’après une longue période de cohabitation quand l’une a pris la mesure de l’autre, et l’un la taille de l’autre.

Pour cette raison, j’affectionne particulièrement une paire de sandales ouvertes, en cuir épais, à semelle intérieure de liège et à socle de caoutchouc solide. Achetées il y a un lustre, ces sandales sont passées du stade de chaussures de marche, brillantes de nouveauté, au stade de tatanes informes marquées par des milliers d’hectomètres tout-terrain. Sans doute ont-elles perdu au niveau de l’esthétique, mais que voulez-vous, moi j’y suis bien dans ses godasses. Foin de l’apparence, vive le confort !

Mais ceci ne semble pas être de l’avis des nombreux cireurs de chaussures que je croise au cours de mes pérégrinations, et qui regardent d’un air outré ces godillots, véritables injures au savoir-vivre pédestre. Et voilà pour moi une agacerie récurrente que d’être obligé de réitérer mon refus de livrer mes chères pompes aux mains, sans doute expertes, de réparateurs et autres cireurs-cordonniers qui me hèlent dans la rue.

Oui, mes chaussures sont bien ternes. Oui, les coutures sont à la frontière de la déconfiture. Oui, la semelle a tendance à se faire la malle. Et c’est justement pour cela que je ne donne qu’à moi le droit de lustrer le cuir fatigué et de recoller de temps en temps une sangle qui manifeste des velléités d’indépendance.

Je sais, en écrivant ceci, que je ne fais pas le bonheur des innombrables cireurs de chaussures qui parcourent les rues, regards rivés aux pieds des passants pour traquer le ressemelage, le lustrage, le rapiéçage de souliers «qui ont beaucoup voyagé» comme le disait le chanteur. Mais comme j’aimerais qu’on me laisse muser en paix, sans s’occuper de mes pieds.

C’est pour quoi ?

Trouver chaussures à son pied, c’est facile !

Une autre habitude à laquelle j’ai toujours du mal à me faire : celle de répondre à une question par une question. Petit éclairage pour ceux qui ne vivent pas ici !

Si je demande une adresse à quelqu’un, il y a de fortes probabilités que l’on me demande pourquoi je veux aller en ce lieu. Ou bien si je demande où se trouve un objet dont j’ai besoin, plutôt que de m’indiquer l’endroit où je peux le dénicher, il est fréquent que l’on me demande pourquoi j’en ai besoin. Ou encore, si je demande une explication à propos de quelque chose, il est très probable que l’on me demande en quoi cette explication m’est nécessaire. Irritant, vous ne trouvez pas ?

Certes, j’ai bien compris que cette habitude s’appuie sur la certitude que l’on apportera la solution juste à mon problème, et que donc on doit être absolument sûr que je pose la bonne question. En d’autre terme, mon interlocuteur, par son questionnement, valide que j’ai bien posé mon problème. L’objectif est louable, mais la méthode agaçante. J’ai l’impression qu’on ne m’accorde pas l’intelligence de situation et que l’on me met dans une relation régressive, parent-enfant, où je joue le rôle du second.

Cependant, j’aurais mauvaise grâce à trop m’en plaindre, car à cette habitude du questionné-questionneur, s’en greffe une autre qui n’est pas plus rassurante sur le résultat final. J’en ai fait plusieurs fois l’expérience en demandant mon chemin.

Quel que soit le lieu où j’étai perdu, j’ai toujours trouvé quelqu’un qui m’indiquait le chemin pour me retrouver sur la bonne route. Sauf que la personne en question n’était pas toujours au fait de la géographie locale. Mais qu’importe : puisque je demandais mon chemin, il fallait me renseigner, que ce soit exact ou non. Je dois avouer que cette culture de l’approximation dans l’exactitude au profit de la politesse a quelque chose d’un peu déroutant et parfois agaçant, surtout quand la question nécessite une réponse précise et urgente.

Tu vas où ?

Et que dire de l’urbanité vicinale qui consiste à s’enquérir de la destination de son interlocuteur. Pressé ou non, lorsque je quitte ma maison, à pied ou en moto, je ne peux guère échapper à la sollicitude de mes voisins qui, en guise de salutation, m’adressent un joyeux «Ông đi đâu đây ?» (Vous allez où ?).

Habiterais-je du côté de l’Atlantique, je répondrais qu’ils s’occupent de leurs affaires et de ne pas venir mettre le nez dans les miennes. Peu importe la formule employée, le sens général serait celui-là. Mais, ici, du côté de la Mer Orientale, je suis bien obligé de trouver une réponse, qui invariablement est «Tôi đi làm !» (Je vais travailler !).

Réponse qui entraîne un hochement de tête de satisfaction chez le voisin concerné, même si je pars avec un filet à papillon à l’épaule, accompagné de ma fille avec une bouée-canard autour du ventre ! Et pas question d’enfreindre la sacro-règle en renversant les rôles ! Je me rappelle trop l’air interloqué du voisin à qui j’ai dis que j’allais travailler, alors qu’il ne m’avait pas encore posée la sempiternelle question. Ce jour-là, il a dû penser que ces étrangers sont vraiment très étranges.

Ceci dit, pour que tout cela ne me gratouille pas trop, j’ai décidé depuis longtemps de m’en amuser : une bonne façon de ménager ma tension.

Gérard BONNAFONT/CVN

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