Facile à comprendre

"Cà phê đen, xin mời!" - Café noir, s.v.p! Un petit clin d’œil de la langue de Molière dans un langage tonal monosyllabique. Mais, il n’est pas le seul signe, tant s’en faut, qui nous indique que la culture française a encore des lettres de noblesse de ce côté-ci du monde.

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Le cà phê (café) sur pied avant d’être dans la tách (tasse).
Photo: Hoàng Hùng/VNA/CVN

Quand on se retrouve dans un pays étrange, et qu’il faut soudain décrypter des sons nouveaux pour former des mots inconnus de nos oreilles, il est tellement rassurant de nous attacher à ces quelques termes transfuges de notre langue maternelle. Comme si nous retrouvions de vieux amis. Même revêtus des accents sắc (accent aïgu), huyền (accent grave), ngã (accent remontant) et autres, ils sont reconnaissables et quelle gourmandise quand nous pouvons les utiliser même si parfois l’exercice relève de l’acrobatie linguistique.

Mots à dire

Je veux installer une antenne parabolique sur mon balcon pour regarder la télévision? Facile: "Tôi muốn đặt một ăng-ten parabol trên ban công để xem tivi". Et pour sortir en ville, j’ai besoin de nouveaux habits. L’élégance française me permet de demander à mon tailleur de me confectionner sur mesure, áo sơ mi (chemise), áo gi lê (gilet), áo măng tô (manteau), áo vét tông (veste)… et si je suis une dame, un áo xu chiêng (soutien-gorge) peut mettre mes formes en valeur.

Avec tout ça, aucun problème pour voyager, que ce soit en xe buýt (bus), ou en ô tô (voiture), aucun risque de tomber en panne de xăng (essence). Et bien évidemment, pas question de rester le ventre vide: atisô (artichaut), (beurre), bít tết (beefsteak), cà rốt (carotte), sô cô la (chocolat), pho mát (fromage), giăm bông (jambon) mourir de faim serait une faute de goût.

Et pour finir une soirée au xi nê (cinéma) suivie d’un verre d’apxanh (apsinthe), juste pour avoir besoin d’une atpirin (aspirine) le lendemain. Voilà, vous avez le viatique minimal pour pouvoir vivre au Vietnam en parlant français. Mais, pour le Français que je suis, il y a bien d’autres signes qui montrent que la France et le Vietnam ont en commun beaucoup de secrets partagés et que me rendent la vie tellement plus facile. Ainsi, quel bonheur de voir sur le bord des routes ces petites bornes rouges et blanches, à la bonne tête de nougat de Montélimar, qui scandent les kilomètres, comme le font leurs cousines du Cantal profond.

Je dis bien les kilomètres du système métrique, aux chiffres bien ronds, et qui se divisent facilement par 100 ou par 10. Heureusement, nous échappons aux miles que seuls ceux qui sont habitués à manipuler les yard, les foot et les inches, peuvent comprendre, sans utiliser la machine à calculer. Et la température, quel bonheur que le Celsius soit ici à l’honneur. Déjà que 38° Celsius en été, c’est chaud, imaginez si les thermomètres affichaient 100,4!

À bouillir sous la casquette! Quelle gourmandise aussi de mordre à pleine bouche dans une bonne tartine de pain croustillant qui n’a pas à rougir de ses congénères du côté du pays aux 300 fromages, surtout quand on peut  l’accompagner d’un "croissant" (prononcer comme ça s’écrit ou presque). Et puisque nous sommes à table, pourquoi ne pas s’offrir une bonne assiette de frites, croquantes à souhait. Autant de petites marques qui renforcent l’amitié franco-vietnamienne.

Mots à entendre

Au risque de passer pour chauvin, je dois dire que cette culture de la Francophonie, j’essaie de la maintenir à mon petit niveau, en refusant de parler d’autres langues que le français ou le vietnamien quand je suis dans ce pays. Cela ne va pas de soi, et la première prise de contact est souvent surprenante. En effet, par la force du tourisme, le sabir anglais utilisé par tous les voyageurs dans le monde, paraît être la langue universelle que tout étranger doit parler au Vietnam.

Mon accent vietnamien étant loin d’être irréprochable, et mon interlocuteur vietnamien s’attendant à ce que je m’adresse à lui en anglais, a tout d’abord quelques difficultés à comprendre ce que je dis. Ses yeux écarquillés et son rictus d’incompréhension me donne l’impression d’être un patagon exilé chez les papous. Pas vexé, je répète ma phrase d’introduction en essayant d’articuler et d’y mettre le ton le mieux possible.

Voulez-vous une tách cà phê (une tasse de café)?

Si ce second essaie reste inefficace, je précise à mon vis-à-vis ébahi: "Anh nói tiếng Việt" (je parle vietnamien). Et là, en général, un sourire apparaît sur son visage, et en écho je reçois un: "Oh! Anh nói tiếng Việt!". Ben oui, ça fait deux minutes que j’essaie de le dire.

Et bien sûr, je ne manque jamais quand un Vietnamien m’adresse la parole en anglais, de lui demander de me parler en vietnamien, arguant du fait qu’ici nous sommes au Vietnam et qu’au Vietnam on doit parler vietnamien, comme en France on doit parler français. Ma maîtrise de la langue de Shakespeare, je la réserve pour les touristes anglophones, perdus dans les rues de Hanoï, ou qui n’ont pas le bonheur d’avoir les mots "trứng ốp la" (Œuf au plat) dans leur vocabulaire.

Pour terminer, je dois dire que je bois aussi du petit lait, quand mes interlocuteurs vietnamiens apprennent que je suis Français. À chaque fois que j’ai droit aux mêmes remarques: le français, la langue de l’amour et de la poésie. Et si l’exquise politesse vietnamienne en rajoute un peu dans le compliment, je dois avouer que cette image de ma langue natale titille agréablement mon amour-propre, et sans doute aussi celui de mes compatriotes… même si la réputation est peut-être un peu surfaite.

Voilà, je vous ai dit franco de ce que je pense de la Francophonie au Vietnam!

Gérard Bonnafont/CVN

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