Exode urbain

«Un coin tranquille» que j’avais dit ! Sauf que c’était sans compter sur l’enthousiasme des Vietnamiens pour les ponts, surtout quand il fait beau.

Non, cette tranche de vie n’est pas de nouveau consacrée aux ponts qui se rafraîchissent les piles dans les fleuves du Vietnam. J’évoque ici une succession de jours fériés qui transforment une semaine en grandes vacances. Et c’est ce qui s’est produit lorsqu’une célébration quadragénaire et une fête séculaire se sont trouvées proches l’une de l’autre par les hasards du calendrier. L’occasion de découvrir que le Vietnamien goûte aux joies de la civilisation des loisirs avec l’enthousiasme du néophyte.

Pique-nique improvisé pour urbains en congé.
Photo : Gérard/CVN

En cette fin de mois d’avril, j’avais décidé de faire découvrir les charmes cachés du Vietnam à un groupe de quelques amis venus de France pour quelques jours. Et je leur avais promis de les emmener dans une région où le touriste est aussi rare que les habitants y sont chaleureux, et les paysages superbes. Sûr de mon fait et fort de cette promesse, j’installe tout mon monde dans un minibus et nous partons à l’aube du 29 avril, en direction des montagnes par cette route buissonnière que j’affectionne particulièrement.

Route encombrée

Alors que le soleil montait à l’assaut du ciel, quelques signes avant-coureurs me mettaient en alerte. De longues cohortes de motos, aux sacoches bouffies ou chargées de sacs de voyage tenus par des tendeurs entrecroisés, nous doublaient de droite et de gauche. Ça sentait la grande évasion, l’exode urbain pour des randonnées champêtres, l’appel de la route loin des rues encombrées des villes. Tous ces gens qui allaient quelque part devraient aussi s’arrêter quelque part pour manger et dormir. Et ce qui m’inquiétait, c’était que ce quelque part ressemblait furieusement au quelque part vers lequel je me rendais.

J’en eu confirmation lors de notre halte méridienne, dans ce petit restaurant caché sous un immense jacaranda, dans cette petite ville où je m’arrête toujours avec plaisir. Habituellement, mon bus ou ma voiture a largement la place de s’abriter sous l’ombre généreuse de l’arbre aux fleurs violines. Mais ce jour-là, j’ai l’impression que les parkings saturés de Hanoi ont trouvé ici un lieu de délestage privilégié. Une dizaine de véhicules à deux ou quatre roues se serrent comme poussins sous le ventre de leur mère pour tenter de se rafraîchir les moyeux sous l’épaisse frondaison, tandis que leurs propriétaires se remplissent la panse.

Laissant notre bus fondre en plein soleil, nous entrons dans ce qui a toujours été pour moi un havre de paix où il fait bon de se détendre autour d’une bonne table, en papotant avec le maître des lieux. Pour l’heure, j’ai le sentiment de pénétrer dans la cantine d’une multinationale à l’heure du coup de feu ! Heureusement, il reste une table libre, mais faute de chaises, nous nous contentons de tabourets en plastique vite apportés de chez le voisin. Dans un brouhaha digne d’une piste d’aéroport, jamais je n’aurai attendu aussi longtemps le succulent poulet en croûte de sel que j’avais tant vanté à mes amis. Tant pis pour le calme ! Ventre affamé n’a pas d’oreilles…

Je pensais retrouver quelque tranquillité le long de la route, en m’arrêtant dans quelques endroits connus de moi seul pour se glisser dans des petits sentiers qui s’ouvraient sur de magnifiques panoramas. C’était sans compter sur l’instinct grégaire du Vietnamien en vadrouille !

À peine notre véhicule arrêté au bord de la route et sa cargaison humaine déchargée que d’autres stoppaient à notre hauteur, selon le principe du mouton de Panurge qui veut que tout le monde suive le premier. À plus forte raison, un groupe d’Occidentaux armés d’appareils photos : forcément, il y a quelque chose d’intéressant à voir. Et pendant toute une journée, j’ai servi de guide involontaire à un cortège de vacanciers bavards et souriants, comptant sur ma connaissance du coin pour parfaire la leur ! Adieu la sérénité à laquelle nous aspirions…

Exultation nocturne

Mais le pire restait à venir. Parmi mes promesses, il y avait celle d’un petit hôtel tranquille où la nuit serait seulement troublée par le bruit du vent dans les épis de riz et le réveil assuré par le coassement de grenouilles vertes. J’avais, heureusement, réservé les chambres sinon nous aurions dû dormir au milieu des premiers en compagnie des secondes, tant l’hôtel était plein à craquer. Et un hôtel plein à craquer de vacanciers vietnamiens conduit inéluctablement, à peine le repas achevé, à un karaoké plein à craquer pour peu que l’hôtel en possède un. Et l’hôtel en possédait un ! Un dont l’isolation phonique était inversement proportionnelle au niveau de décibels que peuvent atteindre une vingtaine de cordes vocales stimulées par un nombre considérable de verres de bière et alcool de riz.

Le lendemain matin, j’ai bien vu dans les yeux rougis de fatigue de mes amis qu’ils commençaient à émettre de sérieux doutes sur la véracité de la sérénité promise. Trois nuits et trois hôtels à karaoké plus tard, j’ai même cru qu’ils allaient me mordre au petit déjeuner.

Je pensais me rattraper en les emmenant dans un endroit perdu entre ciel et terre, où des théiers séculaires donnent un air de forêt de Brocéliande à un paysage de terre brune parsemée de pierres noires veinées d’ocre et de turquoise. Arrivé au sommet d’une montagne que je croyais ignorée de tous, j’entreprends une petite randonnée sur une route abrupte qui doit nous conduire entre théiers et lataniers dans un petit village aux maisons basses recouvertes de bardeaux.

Las ! Des dizaines de promeneurs, zoom devant l’œil et téléphone à l’oreille, martèlent la route devant nous. Ça crie, ça court, ça houspille les enfants, ça demande aux rares autochtones rencontrés où se trouve l’endroit auquel on souhaite aller alors qu’on y est déjà !

Vite, je prends un chemin de traverse dont je sais qu’il me mène à l’écart de la foule. Mais depuis peu, le petit sentier a été bétonné, et nous devons sans cesse nous garer sur le côté pour laisser passer des motos trop heureuses de pouvoir se rendre sans fatigue dans des lieux qui méritaient jusqu’alors le détour.

Restaurants bondés, hôtels bruyants, sites encombrés, routes embouteillées, le Vietnam découvre le plaisir des ponts congés, et moi je me promets de rester en ville pour le prochain. Toute ma rue sera partie à la campagne : quel calme !

Gérard BONNAFONT/CVN

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