Quand on parle vietnamien, on est accueilli les bras ouverts. |
Bon, d’accord, le vietnamien n’est pas une des langues les plus faciles à apprendre, quand on a été élevé aux sons d’une langue latine d’origine indo-européenne. Il est vrai que dresser son système phonématique à une langue tonale monosyllabique nécessite une certaine constance et une agilité de son appareil phonateur.
Que les âmes prudes se rassurent, je ne viens pas d’écrire une insanité, mais de nommer l’ensemble constitué par le larynx, le pharynx, le nez, la bouche, les lèvres, la langue, les dents, le palais, la luette. Oui, c’est tout cela qui se met en marche quand je dis "Bonjour" en français ou "Xin chào" en vietnamien. Et, c’est tout cela qu’il faut rééduquer quand on passe d’une langue à une autre. D’autant plus compliqué qu’avec le vietnamien, notamment, il faut rajouter l’oreille, indispensable pour reconnaître la musique des tons, qui donnent le sens au mot. Il m’a fallu des années d’efforts, de contre sens, d’éructations, d’émissions de bruits divers et variés, pour arriver à m’exprimer à minima dans la langue de l’Oncle Hô. Et encore, ne dois-je jamais baisser ma garde, si je veux rester compréhensible à mes interlocuteurs. Mais, le jeu en vaut la chandelle.
Poire ou pigeon?
Une des utilités de parler la langue vernaculaire de son pays d’accueil, c’est d’éviter d’être pris pour un pigeon…
Ce jour-là, j’accompagne des amis pour une escapade en montagne. Nous faisons halte dans un petit village où j’ai quelques habitudes.
La voiture nous dépose devant l’entrée d’un petit marché comme on en trouve tant au Vietnam. Une petite allée sableuse se glisse entre des étals de nourriture. Juste avant d’atteindre le secteur des vêtements, une échoppe mal éclairée. Un fauteuil en bois, une glace suspendue au mur: c’est mon salon de coiffure.
D’ailleurs, à peine arrivé, j’entends déjà les bà (dames) relayer le message "Ông Tây vua dên" (L’étranger vient d’arriver).
Le téléphone vietnamien n’ayant rien à envier au téléphone arabe, en quelques secondes, le propriétaire du fauteuil et des tondeuses associées apparaît. Avec un large sourire, il me convie à m’asseoir et me couvre le torse d’une espèce de drap qui fut sans doute bleu à l’origine.
Le vietnamien n’est pas
une des langues les plus faciles
à apprendre, quand on a été élevé
aux sons d’une langue latine
d’origine indo-européenne.
-----------------------
Nous n’avons plus besoin de beaucoup de mots pour nous comprendre. Depuis le temps, il sait ce que je veux… Il sélectionne le sabot de tondeuse adéquat et entreprend de tondre mon crâne consentant. Hormis, quelques échanges sur nos santés respectives, le temps qu’il fait, qu’il fera, qu’il a fait, et d’autres peccadilles conventionnelles, l’opération se fait sans tambours ni trompettes.
Et, comme d’habitude, un cercle de spectateurs attentifs et curieux de voir ce Tây (étranger) qui vient se faire couper les cheveux à 300 km de son domicile. Ce sont eux les plus bavards, et les commentaires vont bon train, sur ma pilosité, la forme de mon crâne et d’autres considérations à faire rougir des rosières.
Un époussetage à l’aide d’une éponge à vaisselle (si, si, c’est vrai!), et je suis comme neuf! Le spectacle est terminé.
Le figaro annonce le prix, fier de son œuvre. Ou plutôt, par réflexe, plutôt que de me dire le prix, il me montre un billet. Et pour 20.000 dôngs, l’artiste se brade. C’est en tout cas l’avis d’un spectateur de dernière minute qui houspille mon capilliculteur, en lui disant que je suis un étranger et que je dois payer 100.000 dôngs.
L’homme n’ayant pas assisté aux échanges verbaux entre coiffeur et client ne peut pas savoir que je parle vietnamien. Aussi ouvre-t-il des yeux de merlan frit quand, prenant la parole à la place de mon merlan, je lui explique qu’étranger ne veut pas dire poire. Du moins est-ce l’idée générale de mon intervention, car pour un Vietnamien, être comparé à une poire n’a aucun sens, sauf à paraître pomme!
L’entremetteur occasionnel bat en retraite sous les rires et les quolibets. J’en fais de même pour éviter d’avoir les os brisés sous les tapes amicales à assommer un buffle qui sanctionne ma maîtrise de la langue.
Paroles en l’air
Mais, si parler vietnamien est très utile pour tous les actes de la vie quotidienne, ça peut être aussi difficile à porter quand on veut rester anonyme. Dernière expérience en date...
Je reviens d’un bref séjour dans le Sud. L’avion qui me transporte surfe avec les cumulus et l’hôtesse, qui se penche vers moi pour s’assurer que je suis bien installé, me parle en anglais. Comme souvent, je lui demande de me parler en vietnamien, puisque je suis au Vietnam! Étonnement, sourire, rapide conversation, et je me cale dans mon fauteuil pour somnoler un peu.
Là! Déjà, dans les rangs, circule la terrible annonce "Ông Tây nói tiêng Viêt" (L’étranger parle vietnamien). Ma voisine de gauche me demande depuis combien de temps je suis au Vietnam, mon voisin de droite me demande si j’ai une femme vietnamienne, mon voisin de derrière me tape sur l’épaule et me demande où j’habite. On frise l’émeute, je vais devoir signer des autographes, demander un garde du corps, mettre des lunettes aux verres teintées pour pouvoir aller aux toilettes incognito…
Ce type de réactions que je rencontre si souvent, aussi sympathique soit-il, me laisse songeur sur le nombre d’étrangers qui parlent vietnamien. Certes, il y a tous les touristes qui, pour quelques jours au Vietnam, ne vont pas se torturer la gorge pour prononcer les "ng", les "ượ" et autres gracieusetés locales, en modulant leur voix pour y mettre le ton. Mais il y a bien d’autres expatriés qui voyagent en avion?
Un jour, j’en ai rencontré un. Lui était Allemand. Nous avions subi la même épreuve du feu et, pour le plaisir pendant le voyage, nous nous étions exprimés en vietnamien. L’occasion de constater que les étrangers ne parlent pas vietnamien, mais un vietnamien adapté à la langue maternelle de chacun!
Finalement, la Tour de Babel, ce n’est pas si loin!
Texte et photo: Gérard BONNAFONT/CVN