>>Hôi An, la destination la plus paisible et romantique du monde
Ne franchit pas le pont qui veut. |
Fai Fo c'est l'ancien nom de la ville de Hôi An, province de Quang Nam (Centre). Hôi An la romantique avec ses maisons traditionnelles habillées d'un jaune lumineux à faire pâlir les rayons d'un soleil généreux. Hôi An la belle, qui le soir se pare de colliers de lanternes chinoises pour éclairer la nuit de mille couleurs. Hôi An la nonchalante qui paresse en bord de mer, à l'ombre des cocotiers et des filaos. Hôi An l'artiste, qui dévoile des boutiques de créateurs, des ateliers de peintres, des échoppes de tailleurs, à donner envie de tout emporter avec soi. Et puis, il y a Hôi An l'humide, qui se noie dans les pluies diluviennes, qui engloutit ses rues, qui devient lacustre. Hôi An l'ensorceleuse qui réduit à néant les économies de toute une année. Hôi An qui vend ses charmes pour un "pass"…
Marchandise contrôlée
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Aujourd'hui, c'est une Hôi An incertaine qui nous accueille. Après deux heures de route dans un paysage ou l'eau de la mer, celle des fleuves et des étangs se confondent avec l'eau du ciel. Le col des Nuages suinte d'humidité et les baies de Dà Nang et de Lang Cô (province voisine de Thua Thiên-Huê au Centre) sont noyées dans une brume liquide. J'ai le sentiment d'être devenu un poisson! Paradoxalement, plus nous descendons vers la plaine, plus nous émergeons de cet univers en liquéfaction.
Dà Nang est traversée à peu près au sec, et quelques kilomètres plus loin, Hôi An nous accueille sous un ciel gris mais clément. Nous décidons immédiatement de profiter de cette accalmie pour rendre visite à la vieille ville de Hôi An. Du moins, je laisse le soin à mes amis et mon épouse de sillonner les rues de cette ville, et profiter de ses multiples boutiques qui s'offrent impudiquement aux désirs des badauds, à la grande terreur de leurs portes - monnaie! Prisant peu le lèche-vitrine, j'opte pour un après-midi cocktail: douche-dodo-télé! Entracte bénéfique qui me permet de renforcer mon système immunitaire, mes mécanismes de défense psychologique, et d'atteindre un niveau de sérénité suffisant, pour accueillir avec le sourire une épouse les bras chargés de paquets aux contenus autant inutiles qu'onéreux.
En un instant, ma chambre d'hôtel se transforme en une annexe d'un grand magasin ou en une salle de saisie des douanes, au choix! Soieries, laques, poteries, sculptures sur bois, lanternes en papier, s'étalent sur les lits, le bureau. Mes amis rayonnants, viennent nous rejoindre et me font admirer à leur tour le bric-à-brac qu'ils ont réuni au fil de leur incursion dans les rues commerçantes. Pour calmer mes craintes économiques, ils glorifient les aptitudes de négociatrices de mon épouse qui leur ont permis d'acheter trois fois plus pour deux fois moins! Justification inutile, car connaissant parfaitement celle qui partage ma vie, ce sont plutôt les commerçants que je pouvais plaindre.
Pour célébrer ces bonnes affaires, je suggère de retourner en ville à la nuit tombée pour y admirer les rues éclairées aux lanternes et aller manger dans ce petit restaurant qui propose des spécialités de Hôi An, à en faire saliver Brillat-Savarin. Mais, le temps étant aussi versatile qu'une girouette agitée par les vents, a déjà changé: d'épaisses gouttes s'écrasent sur la ville.
C'est donc en procession, parapluie au-dessus de la tête que nous pénétrons dans la vieille ville. Direction le pont-pagode japonais que mes amis, hypnotisés par leur fièvre acheteuse et encombrés par leurs paquets, n'avaient pu visiter l'après-midi. En arrivant au pont, je découvre plusieurs personnes installés à l'intérieur. À cette heure de la soirée, je suppose qu'il s'agit de quelques touristes surpris par la pluie qui attendent une hypothétique éclaircie, à l'abri de ce pont couvert, avant de rejoindre hôtel ou restaurant. C'est donc sans inquiétude que je m'apprête à effectuer deux actions concomitantes: replier mon parapluie, et franchir la petite rambarde qui empêche les âmes errantes de pénétrer sur le pont.
Hôi An, ville ensorceleuse au jaune lumineux. |
Contrôle intempestif
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Alors que mon épouse, qui me suit d'aussi près que la taille des baleines de son parapluie lui permet, accomplit le même rite que moi, un des personnages, jusque là accroupi dans une encoignure du pont, se dresse et me demande en anglais si nous avons nos billets. Nos billets? Quels billets? Il faut un billet pour entrer sur le pont, maintenant!? Ma femme me devançant exprime son étonnement et explique que nous n'avons pas plus de billets que de mauvaises intentions. De mon côté, soucieux de préserver la tranquillité des lieux et conscient que quelque chose venait de se dérégler dans le bel agencement de notre soirée, me tourne vers mes amis en leur expliquant en français ce qui se passe, et en indiquant que nous allons nous retirer puisque sans billets nous ne pouvons rester là.
Par la même occasion, d'une pression sur le bras de mon épouse j'exprime le même souhait. Nous redéployons nos parapluies et nous quittons le pont pour nous diriger vers ce petit restaurant qui propose des spécialités de Hôi An, à en faire saliver qui vous savez… Mais après quelques pas, j'en entends d'autres qui clapotent derrière moi, et entre dans mon champ de vision un bras qui saisit celui de ma femme située à ma gauche. Étonné qu'un outrecuidant puisse se permettre ce genre de privauté, je me retourne pour voir le précédent demandeur de billets bousculer la mère de mes filles en manifestant une humeur aussi détestable que le temps pourri qui nous accompagne depuis deux jours.
À travers les phrases éructées en un vietnamien peu familier à mes oreilles, où les ze se prononcent ye, je distingue que d'une part nous devons avoir des billets pour entrer dans la ville, et que d'autre part ce zélé fonctionnaire local pense que ma femme est notre guide, et qu'elle est donc totalement fautive et responsable. Désireux de protéger mon épouse, je m'interpose donc, entre le fonctionnaire qui postillonne sa vindicte et mon épouse mi-inquiète, mi-énervée. Heureusement, que l'après-midi m'avait permis de refaire le plein d'énergie! Finalement, il condescend à m'écouter. Je lui explique que, primo ma femme n'est pas notre guide, et que secundo nous n'avons vu personne pour nous vendre des billets à l'entrée de la ville et que nous étions entrés en toute bonne foi, mais que puisque nous étions en tort, nous allions ressortir de la ville. C'est à son tour de se confondre en excuse, en m'expliquant qu'il ne fait que son travail. Ce en quoi je le félicite, et que finalement tout cela n'est pas grave. N'en parlons plus! Nous finissons presque dans les bras l'un de l'autre, en nous congratulant avec de grands sourires, l'un pour son vietnamien, l'autre pour son zèle.
Personne n'a perdu la face, l'honneur est sauf. Et Hôi An rit sous cape!
Texte et photos: Gérard BONNAFONT/CVN