>>À Los Angeles, des restaurants qui cuisinent les cinq sens
Sonia Ibidhi, ancienne journaliste reconvertie en productrice de fleurs comestibles, à Tabarka (Tunisie). |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Sonia Ibidhi, une journaliste de 42 ans qui s’est reconvertie dans l’agriculture biologique "par amour" du travail de la terre, a choisi Tabarka (Nord-Ouest) pour réaliser son rêve : produire des fleurs comestibles, un produit de niche mais demandé. Elle cultive la bourrache, fleur bleue au goût de concombre, la fleur de ciboulette, pompon violet à la saveur proche de l’oignon, et surtout la capucine, reine des fleurs comestibles qui rappelle le radis rouge.
Après avoir ramené de France des graines de 42 variétés, Sonia a commencé par produire une dizaine de types de fleurs, et notamment la capucine, aux pétales d’un jaune éclatant tirant sur l’orange. Aujourd’hui, elle utilise aussi ses propres graines.
"Je travaille pour quelque chose que j’aime, de beau et rempli de couleurs", dit-elle fièrement, tout en espérant voir ses fleurs "lancer une nouvelle culture culinaire dans le pays".
"Voyage par l’assiette"
En Tunisie, certaines fleurs sont déjà utilisées pour cuisiner, comme le "chouch ward" (roses séchées, ndlr), émietté sur certaines pâtisseries traditionnelles, ou la lavande, ingrédient du "ras el hanout", le mélange d’épices typique pour le couscous traditionnel. Mais la dégustation de fleurs fraîches est une nouveauté.
"Je pensais que ces fleurs seraient destinées à l’exportation et qu’il n’y aurait pas d’intérêt immédiat sur le marché local, mais j’ai été surprise par la demande croissante, venant surtout de certains hôtels haut de gamme", raconte Sonia.
Dans un luxueux hôtel de Gammarth, dans la banlieue huppée de Tunis, le chef Bassem Bizid relève ses tartares de daurade avec des pétales de capucines, et accompagne ses plats d’une salade de feuilles et fleurs ou d’un sorbet végétal garni de fleurs fraîches de violettes. Les clients "sont très satisfaits de découvrir des nouveautés", assure-t-il.
Le chef tunisien Bassem Bizid utilise des fleurs comestibles pour préparer ses plats dans un hôtel de luxe à Gammarth, une banlieue haut de gamme du nord de la capitale Tunis. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Pour le maître cuisinier de cet hôtel, l’Italien Alessandro Fontanesi, "non seulement on utilise un produit tunisien rare qui embellit l’assiette et ajoute un goût spécial mais cela permet à nos clients de voyager par l’assiette, en cette période de crise sanitaire".
Sonia s’est lancée en 2019, après quatre ans de réflexion et de démarches. Elle a choisi de s’installer dans la région montagneuse de Tabarka, idéale pour son climat humide et ses ressources en eau douce.
Son installation n’a toutefois pas été facile. Outre "un énorme dossier administratif", il a fallu expliquer à maintes reprises à la direction des forêts, sceptique, "à quoi servaient les fleurs comestibles", raconte-t-elle. "Je répondais à leurs questions par écrit mais aussi de vive voix en les appelant ou en les rencontrant directement", poursuit-elle.
L’agricultrice a finalement obtenu un terrain de 5 ha qu’elle loue 1.400 dinars (430 euros) par an à l’État. À défaut d’obtenir un prêt bancaire ou public, elle a dû vendre sa voiture. L’originalité de son projet a toutefois séduit la Banque africaine du développement qui l’a aidée à hauteur de quelque 11.000 euros.
Mais Sonia craint désormais de perdre le terrain qu’elle a aménagé. En effet, elle cultive des fraises, dont elle commercialise les feuilles mais aussi les fruits.
Selon le directeur de l’Agence générale des forêts Mohamed Boufarou, la cultivatrice "n’a pas respecté la convention signée avec l’Agence générale des forêts, en cultivant sans prévenir des fraises, qui ne sont pas des fleurs comestibles et en plus ne sont pas des fruits forestiers".
Bien qu’il trouve le projet de Sonia "innovant", M. Boufarou assure qu’il ne peut pas "ouvrir la porte à ce type d’implantation “qui change l’aspect sauvage de la terre et fait perdre les spécificités des forêts". Sonia, qui a planté une quantité importante de fraises, subirait une perte financière importante si elle les arrachait.
"Les menaces de retirer mon terrain sont de plus en plus sérieuses", déplore l’agricultrice. Mais "je défendrai bec et ongles mon projet, lance-t-elle. Je ne laisserai pas des blocages administratifs me priver de mes fleurs qui sont devenues mon monde !"
AFP/VNA/CVN