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La "Pierre de famine" à Decin, en République tchèque, visible le 29 août en raison du faible niveau de l'eau de l'Elbe. |
"Si tu me vois, pleure" ("Wenn du mich siehst, dann weine"): l'inscription en allemand gravée en 1904 sur cet imposant bloc de pierre par un batelier reconverti en aubergiste, Franz Mayer, marquait exactement le niveau d'eau qui clouait les radeaux à leurs embarcadères, privant beaucoup d'habitants de leur gagne-pain.
À l'époque Decin, en Bohême, faisait partie de l'Autriche-Hongrie, où l'on parlait majoritairement allemand.
Les radeliers au chômage "flânaient sur les bords du fleuve et gravaient les dates de ces années néfastes", raconte Vlastimil Pazourek, directeur du musée de Decin, une ville de 50.000 habitants située au nord de Prague, à 20 km de la frontière allemande.
"D'où l'appellation +Pierre de famine+" ("Hungerstein en allemand)", explique-t-il. Une vingtaine de ces pierres ont subsisté, dont celle de Decin. La plus ancienne inscription sur celle-ci date de 1616.
Beaucoup d'eau a coulé depuis sous les ponts de l'Elbe, un fleuve long de 1.109 km qui prend sa source en République tchèque et dont la majeure partie est située en Allemagne.
À Decin, le lit de l'Elbe a été approfondi pour faciliter la navigation et neuf barrages ont été construits au XXe siècle sur la Vltava, son principal affluent.
Le niveau d'eau moyen y est de 3 mètres. Mais la sécheresse fait son œuvre: la "Pierre de famine", visible dès qu'il baisse à 1,60 m, émerge maintenant plus de 100 jours par an.
Sécheresse sur 94% du territoire
Cet été, après une longue période sèche en République tchèque comme dans une grande partie de l'Europe, le niveau de l'Elbe n'était plus fin août que de 90 cm à Decin, entravant gravement la navigation.
"Pour le transport fluvial, les complications s'annoncent dès que le niveau de l'Elbe à Decin descend à environ 250 cm. Et s'il baisse encore, au-dessous d'115 cm, le transport n'est plus économiquement rentable", explique Jiri Petr, un responsable de Povodi Labe, l'autorité publique de gestion et de surveillance du tronçon tchèque de l'Elbe.
La "Pierre de famine" à Decin, en République tchèque, le 29 août. |
Photo: AFP/VNA/CVN |
"C'était pareil déjà en 2015 et 2016, mais cette année, la baisse a été plus rapide. C'est une situation inédite depuis les vingt dernières années", précise-t-il.
La sécheresse a culminé le 22 août, touchant 94% du territoire de la République tchèque et provoquant des dégâts d'un montant total estimé entre 9 et 11 milliards de couronnes (350 à 427 millions d'euros), selon la Chambre agricole tchèque.
Pour Tobias Conradt, spécialiste allemand en hydrologie, cité par l'organisation écologiste Arnika, "des niveaux peu élevés de rivières seront encore plus fréquents" dans le futur. "Ce que nous considérons comme un extrême aujourd'hui deviendra réalité quotidienne dans les décennies à venir, à cause des changements climatiques".
Transport fluvial en recul
Conséquence de la sécheresse mais aussi de la concurrence des chemins de fer notamment, le transport fluvial de marchandises en République tchèque est en recul constant: moins d'un million de tonnes passent aujourd'hui par l'Elbe chaque année, contre quelque 5 millions à la fin du XXe siècle.
L'éventuelle construction à Decin d'un système de retenue d'eau censé élever le niveau de l'Elbe pour améliorer sa navigabilité est débattue depuis une vingtaine d'années.
"Nous sommes favorables à ce projet. Mais il faut attendre une décision politique", dit M. Petr.
Soutenu par l'actuel gouvernement, le projet se heurte à des protestations des écologistes.
Ils redoutent un impact sur l'environnement: les berges pourraient être en partie affectées par la montée du niveau des eaux, et la faune comme la flore en pâtiraient.
Par ailleurs, les écologistes doutent de l'utilité de l'initiative, arguant que le système ferait monter le niveau d'eau uniquement sur le tronçon tchèque du fleuve, alors que le problème se pose aussi du côté allemand.
"Depuis 2013, le transport des marchandises a toujours été paralysé par un niveau bas de l'Elbe en Allemagne, parfois même pendant sept mois de l'année. Ceci démontre qu'un transport fiable sur l'Elbe jusqu'à Hambourg est une idée irréaliste", argue Nikol Krejcova représentant Arnika.
La "Pierre de famine" ne semble pas prête de disparaître sous l'eau.