En avant toute

La mer, les rivières, les lacs..., au Vietnam, l’eau est omniprésente. Notamment en ce mois de juillet où la saison des pluies s’en donne à coeur joie. Mais dans cette atmosphère humide et moite, le Vietnamien est comme un poisson dans... l’eau !

Ce ne sont pas quelques centimètres d’eau qui vont arrêter les Vietnamiens !
Photo : VNA/CVN

Cette semaine, je laisse aux vacanciers de Cua Lo (province de Nghê An, Centre) les joies de la baignade en famille pour vous emmener prendre l’eau ailleurs. C’est que depuis le début du mois, le ciel a décidé d’honorer son engagement saisonnier : faire dégringoler régulièrement des tonnes d’eau sur la tête des pauvres humains que nous sommes. Non qu’il ait décidé de noyer la terre, puisqu’il nous offre de longues heures d’azur torride qui nous donnerait presque l’impression d’être en... été. Mais quand ça tombe, ça tombe ! Et c’est là que la ténacité du Vietnamien face aux sautes d’humeur des éléments prend tout son sens...

Auto... nautique !

Il a plu à verse toute la matinée, et comme souvent, les lois de la physique des fluides se sont imposées aux habitants de la ville : plus l’eau du ciel tombe vite, moins les égouts se vident rapidement. La pluie a cessé, mais dans certains quartiers, des lacs se sont formés, noyant en d’improbables réservoirs artificiels chaussées et trottoirs. C’est l’heure où je décide de faire visiter Hanoi à un ami. Peu soucieux de nous mouiller les pieds dans des rues détrempées, nous hélons un taxi en maraude qui accepte de nous conduire à un musée...

Pendant les premiers mètres, la vie suit son cours normal, et chacun joue son rôle : mon ami admire, j’explique, le chauffeur conduit, la voiture roule… Soudain, alors que notre attention est concentrée sur les devantures des magasins, notre taxi s’arrête brutalement. D’un même mouvement, nos regards glissent vers l’avant pour identifier l’obstacle imprévu, qui bloque notre progression. Et, de surprise, nos yeux s’écarquillent ! Là, devant la calandre de notre voiture, il devrait y avoir une rue avec une chaussée animée et des trottoirs tout autant encombrés. Du moins était-ce encore ainsi hier… Mais pour l’heure, de bitume point ! Notre véhicule est stoppé par une nappe d’eau qui, profitant d’un dénivelé urbain, s’étire paresseusement sur une centaine de mètres de long. Immédiatement, notre scepticisme occidental nous amène à une conclusion évidente : circulation impossible, demi-tour impératif. Opinion étayée, s’il en était besoin, par la vision d’une voiture immobilisée en plein milieu de ce lac nouveau-né. L’eau affleure à mi-portières empêchant celles-ci de s’ouvrir pour laisser sortir une conductrice inquiète à l’idée de jouer les robinsons jusqu’à total assèchement de cet épanchement pluvial.

C’est alors que l’impensable se produit : au lieu de reculer, notre voiture avance ! Nous pensons que le chauffeur a fait une erreur, confondant marche arrière et marche avant. Il ne fait aucun doute qu’il va se ressaisir, qu’il s’agit d’un simple moment d’inattention. Très vite, à voir son regard décidé dans le rétroviseur, nous devons nous rendre à l’évidence : loin de se laisser abattre, il a choisi de passer outre à une règle fondamentale, à savoir qu’un moteur de voiture est fait pour fonctionner hors de l’eau ! Lentement, le mufle du taxi pénètre dans une eau sombre, suivi de près par les roues et le pot d’échappement...

Plus on avance, plus notre tension monte proportionnellement au niveau de l’eau. Nous nous voyons déjà naufragés en plein milieu de Hanoi, mourant de soif et de faim sur notre île automobile, à quelques pas des rues commerçantes du centre-ville. Avec pour seule alternative de devoir s’extirper de notre véhicule devenu esquif pour plonger à mi-corps dans une eau sale et sans doute pleine de parasites et autres germes susceptibles de provoquer les pires maladies…

Insensible à notre pessimisme, fendant l’eau comme l’étrave d’un paquebot, notre voiture trace son sillon sans à coup, levant au passage deux gigantesques vagues qui vont s’écraser sur les maisons de part et d’autre. Encore un tour de roue, et le fier véhicule ressort indemne de sa traversée inopinée. Voyant s’éloigner le spectre du naufrage, nous respirons !

Notre chauffeur continue, imperturbable, près à affronter tout océan, marécage ou flot impétueux qui se présenterait sur notre route. Ce qu’il fait encore deux ou trois fois, sous le regard désabusé de deux passagers désormais fatalistes.

Moto tout terrain !

Cette faculté de ne pas se laisser détourner par un obstacle, fut-il naturel, je l’ai de nouveau constatée, lors d’une promenade en moto avec mon ami Tuân, dans la province de Hà Giang (Nord).

Nous étions partis une semaine en voyage de découverte dans les montagnes du Nord, pour admirer les merveilleux paysages dont nous avions eu un avant-goût par une exposition photographique dans une galerie de la rue Tràng Tiên, au coeur de Hanoi. Les rizières en terrasse, les vallées verdoyantes et les cimes majestueuses semblaient nous faire un clin d’œil, et nous avions profité d’une semaine de tranquillité pour enfourcher nos motos et partir à l’aventure.

Las, en guise de panoramas inoubliables, nous avons eu droit à un rideau de pluie diluvienne qui nous est tombé sur les épaules durant plus de la moitié du parcours. Faisant contre mauvaise fortune, bon cœur, nous avons décidé de poursuivre notre route, plutôt que de faire demi-tour. À dire vrai, Tuân avait estimé que puisque nous étions là pour découvrir une région, il fallait aller jusqu’au bout, et ce n’était pas quelques trombes d’eau qui allaient nous arrêter ! Sauf que l’eau qui tombe a plusieurs alternatives : s’écouler dans le sol, rejoindre les rivières puis la mer, ou dissoudre tout ce qui lui tombe sous la goutte. Et c’est cette dernière solution que la pluie de juillet avait choisie : liquéfier les montagnes ! Au sens propre, comme nous nous en sommes rendus compte.

Trempés comme des bigorneaux fraîchement ramassés, nous avions conduit nos motos sur une petite route, qui s’accrochait comme elle pouvait au versant de la montagne. Soudain, dans une courbe, sans doute fatiguée de zigzaguer, la route disparaissait. Devant nous, la montagne se transformait en une gigantesque motte de beurre dont les flancs coulaient littéralement vers la vallée...

Alors que je me préparais à suivre ce que j’estimais être le bon sens, c’est-à-dire le sens du retour, Tuân me lance : «Regarde, le chemin existe toujours, on peut encore passer !». Et sans me demander mon avis, il lance son engin sur la surface glissante. Que faire d’autre sinon le suivre, sous peine de rompre la belle harmonie de notre duo rompu aux longues escapades motocyclistes…

Surtout conserver une vitesse régulière, pas trop vite, pas trop lentement. Maintenir fermement le guidon, tout en conservant une souplesse qui permette à la roue directrice de se mouvoir dans la boue fuyante. Ne pas regarder le précipice, vers lequel, inexorablement le glissement de terrain m’entraîne.

Et si encore, nous étions les seuls à pratiquer cet exercice à haut risque. Mais non, sur 100 m de route mouvante, j’ai croisé une dizaine de motos, dont les conducteurs avaient, eux aussi, décidé que ce n’était pas une montagne en goguette qui allait les arrêter.

C’est ce qui s’appelle : adapter les circonstances à sa volonté, eau ou pas !

Gérard BONNAFONT/CVN

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