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Un docteur se prépare avec son équipement personnel de protection à l'hôpital Kenyatta de Nairobi, le 15 mars. |
"Le coronavirus n'est pas une maladie honteuse", martèlent les autorités à travers le continent, où des personnes suspectées de l'avoir contracté sont pointées du doigt au travail, dans leur quartier et jusque dans leur foyer. Il y a un mois, Fatou, une Sénégalaise d'une vingtaine d'années qui préfère ne pas donner son vrai prénom, en a fait l'amère expérience : après avoir été en contact avec un malade, la jeune femme - qui s'est immédiatement confinée dans sa chambre - a été mise au ban de son quartier.
"Des messages ont circulé sur les réseaux sociaux, avec mon prénom, mon nom et mon adresse", explique la jeune fille qui ne veut même pas qu'on écrive dans quelle ville du Sénégal elle habite. Puis des jeunes du quartier ont commencé à propager des mensonges, affirmant qu'elle "avait contracté le virus en couchant avec des blancs", confie-t-elle.
Fatou, qui n'a jamais quitté sa chambre avant d'être testée négative, a ensuite quand même dû passer deux semaines en isolement dans un hôtel alors qu'elle ne présentait aucun symptôme : les médecins qui la suivaient avaient reçu "des appels anonymes", selon elle. Cela lui a au moins permis de souffler, "loin des cancans". À 5.000 km de là, au Gabon, Jocelyn - là aussi un prénom d'emprunt -, un biologiste qui teste les cas suspects à Libreville, subit "cette discrimination chaque jour".
Rester caché
Avec son équipe, il essaye de rester discret lorsqu'ils se rendent dans les domiciles, quitte à se mettre eux-mêmes en danger. "On s'équipe avec nos combinaisons à l’intérieur plutôt que sur le perron", affirme-t-il. "Les Gabonais sont paniqués à l'idée qu'on vienne chez eux", alors on essaye d'organiser des tests "ailleurs, dans des endroits neutres", raconte-t-il.
Car la situation peut vite dégénérer. Dans le pays voisin, au Cameroun, la deuxième personne testée positive a été expulsée par son propriétaire, témoigne le professeur Yap Boum, épidémiologiste à Yaoundé. La stigmatisation n'est pas l'apanage de l'Afrique et a été observée partout ailleurs, nuance-t-il, ajoutant : "Mais il est vrai qu'ici, nous vivons en communauté, nous connaissons nos voisins".
Certains préfèrent même rester cachés. "Plusieurs personnes sont décédées car elles avaient retardé leur prise en charge par peur de la stigmatisation", assure le professeur, également directeur du centre de recherche de Médecins sans frontières en Afrique. "Il faut prendre en compte le volet psychologique si nous voulons gagner cette bataille", soutient le chercheur.
Un soldat sud-africain dans une rue de Hillbrow, à Johannesburg, où il tente de faire respecter les consignes de sécurité face à la propagation du coronavirus, le 1er mai. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Et notamment pour les soignants. "Ils sont doublement stigmatisés", explique Yap Boum. Au travail, où le personnel des autres services refusent quelquefois de leur "adresser la parole ou d'utiliser les mêmes toilettes qu'eux" et, à la maison, où ils sont parfois "vus comme des pestiférés".
Soignants mis à l'écart
Des infirmières camerounaises ont été quittées par leurs époux, chassées de leur foyer car elles travaillaient dans des unités coronavirus, assure la psychiatre Laure Menguene Mviena, chargée de la réponse psychologique au COVID-19 à Yaoundé. "Il est urgent de les accompagner psychologiquement car, s'ils s'épuisent mentalement et physiquement, comment allons-nous faire pour soigner les autres ?", s'inquiète-t-elle.
Le rejet peut virer à la franche hostilité, comme en République démocratique du Congo : des équipes luttant contre la propagation du coronavirus ont été agressées par des habitants à Kinshasa. "Ce mouvement de résistance entraîne la paralysie des activités de surveillance, notamment la recherche active des cas", ont regretté les autorités sanitaires. Des actes similaires avaient déjà perturbé la lutte contre la dernière épidémie d'Ebola, déclarée en août 2018 : plusieurs personnels de santé avaient même été tués, dont un médecin camerounais de l'OMS.
Pour sensibiliser la population, les autorités doivent résoudre une difficile équation en adoptant, d'un côté, un ton ferme pour faire appliquer les gestes barrières et, de l'autre, en faisant tout pour éviter la psychose qui engendre la stigmatisation. Il faut "communiquer davantage" et rappeler "que le taux de mortalité reste faible chez nous, moins important qu'en Europe", avance la psychiatre. L'Afrique subsaharienne ne déplore, pour l'heure, que quelque 1.400 morts du coronavirus. Pourtant, l'anathème qui frappe certains malades peut les poursuivre après la guérison.
Surnommée Corona
C'est le cas de Roselyn Nyambura, une Kenyane qui, après sa sortie de l'hôpital, a continué "d'être moquée et dévisagée" par ses voisins, confie-t-elle. Certains allant même jusqu'à la surnommer "Corona". Il faut faire "témoigner les personnes rétablies à la télévision", propose le professeur Boum, ou "distribuer aux guéris des documents certifiant qu'ils ne constituent" pas "plus un danger" que les autres citoyens, "un peu comme après Ebola".
Aucune étude n'a encore démontré scientifiquement qu'un patient guéri était immunisé, même temporairement, contre le coronavirus. L'épidémie d'Ebola, qui avait très durement frappé l'Afrique de l'Ouest en 2014, a montré aux autorités que la réponse ne pouvait pas être que sanitaire. Au Nigeria, les autorités ont diffusé des spots de prévention martelant que le coronavirus n'était pas synonyme de "peine de mort", que "la stigmatisation était une mauvaise chose".
Mais, le message a encore parfois du mal à passer. En Somalie, porter un masque de protection n'est pas facile : Mohamed Sharif, chauffeur à Mogadiscio, est obligé de s'équiper d'un cache-nez pour travailler. Mais il a remarqué que les gens l'évitaient ou même s'enfuyaient en sa présence. Certains pensent que "si vous portez le masque, vous avez forcément le virus", témoigne-t-il, avouant qu'il lui arrive "de l'enlever pour éviter cette humiliation".
AFP/VNA/CVN