Elza Soares, la diva qui ne veut pas s'arrêter de chanter

C'était en 1953, à Rio. Elza Soares, adolescente maigrelette, mal fagotée dans des habits trop grands pour elle, entra dans le studio de la radio Tupi pour chanter dans une émission populaire, moyennant une rétribution symbolique qu'elle comptait utiliser pour acheter des médicaments pour son bébé.

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La chanteuse brésilienne Elza Soares à New York, le 19 mai.
Photo : AFPVNA/CVN

"Et vous, de quelle planète venez-vous?" lui demanda l'animateur, le compositeur Ary Barroso, en se moquant de sa tenue. "De la même que vous", répondit Soares. "C'est à dire ?" insista Barroso, sans savoir que la réponse allait entrer dans les annales de la musique populaire brésilienne. "De la planète Faim", répondit la jeune fille.

Quelques minutes plus tard, sidéré par la voix qui émanait de cette jeune fille des favelas, l'animateur décrétait la naissance d'une nouvelle étoile. "Je n'oublierai jamais cet échange", explique la chanteuse, mélange d'Aretha Franklin et de Tina Turner, aujourd'hui âgée de 79 ans, dans un entretien téléphonique depuis Rio avant son premier spectacle à New York vendredi 19 mai intitulé "La femme de la fin du monde".

Le concert s'appuie sur son dernier album, vainqueur d'un Grammy latino en 2016, une espèce de samba futuriste mêlant électronique, art-rock et bossanova. "Je n'étais pas fâchée, juste un peu triste. J'étais une enfant pauvre, mal habillée. Simplement je chantais bien", se rappelle la chanteuse, dont la voix caverneuse, cassée, envoûte depuis le Brésil des millions de fans dans le monde entier : la BBC l'a sacrée en 1999 "chanteuse brésilienne du millénaire".

Garrincha, 'mon plus grand amour'

Après plusieurs opérations de la colonne vertébrale, Soares ne chante plus qu'assise, mais déborde toujours d'énergie. Après New York, elle a prévu de se produire d'ici fin juillet à Barcelone, Porto, Rotterdam et Roskilde, au Danemark.

La vie lui a rarement été tendre, faisant d'elle un symbole de courage et de résistance. À 12 ans, son père l'oblige à se marier, et elle aura un premier fils dès 13 ans. Suivront six autres, mais les deux premiers, nés prématurés et sous-alimentés, mourront très jeunes. Soares a reconnu avoir dû voler pour nourrir ses enfants. À 21 ans, elle était veuve.

Le concert s'appuie sur son dernier album, vainqueur d'un Grammy latino en 2016, une espèce de samba futuriste mêlant électronique, art-rock et bossanova.
Photo : AFP/VNA/CVN

Vint ensuite sa rencontre Garrincha, l'un des meilleurs joueurs de l'histoire du football brésilien. Bien qu'ils aient eu une relation orageuse, parfois violente, Garrincha "fut mon plus grand amour", confie Soares. Son meilleur souvenir de lui ? "Le voir jouer au football. Pour moi il était le meilleur joueur brésilien, le meilleur", dit-elle. Ils furent mariés 17 ans, mais Garrincha, un des héros du Brésil de Pelé qui remporta la Coupe du Monde en 1958 et 1962, était alcoolique et mourut d'une cirrhose à 49 ans.

Avec Garrincha, Soares adopta une fille et eut un fils. Surnommé "Garrinchinha", il mourut à neuf ans d'un accident de la route, alors qu'il se rendait sur la tombe de son père.

'Un saxophone dans la gorge'

Malgré tous ces coups du sort, la chanteuse, qui aime le maquillage marqué, les tenues de cuir, les perruques immenses et les talons vertigineux, ne s'est jamais plainte. "Oui, la vie a été dure avec moi, mais je vois beaucoup de gens qui ont la vie dure. Je crois que la vie est dure pour tous", nuance-t-elle.

Pendant la Coupe du monde 1962, au Chili, Soares fit "une rencontre mer-veilleuse", celle du trompettiste et chanteur de jazz américain Louis Armstrong. "J’étais encore très jeune, il m'a proposé de m'emmener chanter aux États-Unis. Je lui ai dit que je ne pouvais pas car j'avais des enfants, et il ne m'a pas cru, j'étais si jeune", raconte-t-elle.

La légende veut qu'Armstrong, impressionné par sa voix, dit un jour qu'elle avait "un saxophone dans la gorge". Par sa musique, Soares a toujours lutté contre le racisme, le machisme, les violences conjugales et l'homophobie. Aujourd'hui, elle dénonce aussi la situation politique et économique "chaotique" de son pays.

Que l'actuel gouvernement du président brésilien Michel Temer soit entièrement blanc et masculin est "horrible", dit notamment Soares, qui a défendu jusqu'au bout la présidente de gauche Dilma Rousseff, destituée l'an dernier.

Quant à sa propre carrière, malgré son âge, Soares n'est pas prête à y mettre fin. "Je veux chanter jusqu'à la fin", assure-t-elle. "Chanter est ce qui me plaît le plus au monde".

AFP/VNA/CVN

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