Fin décembre, des amis débarquent de France pour passer quelques jours à Hanoi et dans les environs. Je les avais prévenus : «Attention, apportez avec vous des vêtements chauds, il fait froid dans la région, à cette époque de l’année !». Jugeant sans doute que ma notion du froid était pondérée par l’habitude de température élevée toute l’année, ils avaient estimé qu’une «petite laine» serait suffisante, et ont laissé gros pulls et anoraks dans leurs armoires provençales. D’ailleurs, à peine sortis de l’aéroport, ils constatent avec plaisir que leur choix est judicieux, la température flirte avec les 23°C. Je fais stoïquement front aux railleries à propos de mon inquiétude injustifiée qui, s’ils m’avaient écouté, n’aurait contribué qu’à augmenter de façon indécente le poids de leurs valises. Qu’importe, me dis-je in petto, qui rit Dimanche soir, Mardi pleurera !
Rires chaleureux
Vieux quartier de Hanoi, à 12h00. Nous nous promenons depuis le matin dans les rues du Quartier des 36 Corporations. Le soleil nous fait la faveur de ses rayons, et c’est en bras de chemises que nous déambulons, nez au vent et yeux étonnés. J’ai encore droit de temps en temps à quelques remarques ironiques sur le «froid hanoïen». On envisage même l’achat de crème solaire pour le lendemain, en prévision de notre séjour en baie de Ha Long (province de Quang Ninh, au Nord). Je serre les dents, contraint de boire le calice jusqu’à la lie ! Le soir pourtant, en rentrant chez moi en moto, je sens les prémices d’un vent coulis qui commence à me donner raison…
La plage de Cát Bà, dans la ville portuaire de Hai Phong (Nord). |
Photo : Hoàng Giang/CVN |
Baie de Cát Bà (ville portuaire de Hai Phong, au Nord), 15h00. Après l’aventure habituelle pour aller de Hanoi à Cát Bà, par train, taxi, bateau, bus, nous avons embarqué à Bên Bèo pour une promenade de quelques heures dans la baie. Déjà, avant de monter sur la jonque, j’ai dû subir les sarcasmes amicaux de mes condisciples, qui me montraient du doigt un touriste, torse nu, se couvrant de crème protectrice pour éviter la cuisson totale sous la chaleur ardente d’un soleil qui avait chassé les nuages du matin. Je tiens à préciser que l’ardeur de la chaleur pouvait s’estimer à 18-20°. D’ailleurs, mes amis, confiants en leur étoile et le soleil complice qui les suivent depuis deux jours, ont laissé leurs pulls à Hanoi. C’est donc agréablement réchauffé par l’astre du jour que nous louvoyons entre Rocher de la Baleine, Rocher de la Tortue, Seins de la Mère, ou autre îles dont la décence m’interdit de donner les noms ici.
À peine avons-nous du boutonner gilet et blouson pour se protéger du vent frais qui vient de la mer. Mais la mer est belle, le ciel est bleu, le soleil brille, merci la vie ! La première alerte survient au moment où nous passons derrière une île plus haute que les autres, qui nous masque le soleil. Brusquement, plusieurs degrés disparaissent dans la pénombre de la falaise. Quelques remarques inquiètes fusent : «Fais frais hein !», «On sent bien le vent là !», «On supporte bien le coupe-vent !»… Je me garde bien de crier victoire, mais je sens, à ce moment-là, que s’insinue dans l’esprit de mes amis, l’idée que peut-être au Vietnam, il peut effectivement faire froid.
L’hiver à Hanoi, il faut sortir couvert ! |
Larmes glacées
Le lendemain, 11h00. Depuis une heure, nous roulons en moto, sur la route qui longe la côte de l’île de Cát Bà. Et nous ne sommes pas seuls. Non que la route soit encombrée : elle est déserte, hormis nos trois motos. Mais nous avons, pour nous tenir compagnie, le froid, le vent et l’humidité.
En effet, depuis ce matin, le soleil a décidé de partir fêter Noël et le Têt Tây ailleurs. La température a chuté de dix degrés dans la nuit, et avec le vent relatif de la vitesse, c’est encore une dizaine de degrés qui se font la malle. Ça caille, ça pèle, c’est l’hiver du Bac Bô. Mes amis, recroquevillés sur leurs motos, sont frigorifiés. Les yeux larmoyants ils poussent des cris d’admirations devant le paysage, mêlés à des geignements de souffrance pour leurs doigts gelés, leur nez glacé, leur corps frissonnant, regrettant amèrement de ne pas m’avoir fait plus confiance. Je compatis d’autant plus à leur torture, que je sers de coupe-vent à leur fille, emmitouflée dans la veste polaire que j'avais eue la précaution d’emporter, et pelotonnée derrière mon dos.
En plus, le vent a décidé que la route était un excellent moyen de voyager et il s’engouffre dessus avec vigueur, nous fouettant le visage et fouaillant nos membres transis. Vite, s’arrêter sous ma petite paillote habituelle pour se restaurer et se réchauffer d’un thé brûlant. Las ! La paillote est ouverte à tous les vents, et la simple tentative de s’y installer nous en dissuade : nous avons l’impression d’être dans un ventilateur antarctique. Heureusement, l’aubergiste accepte de nous héberger dans son salon, et pendant que la famille regarde la télévision, blottie sur le lit, nous avalons thé brûlant, riz chaud, crevettes grillées, plutôt pour alimenter un foyer intérieur destinée à nous tenir chaud pour el retour que par réelle gourmandise. L’horaire s’impose. Il faut repartir, abandonner la douce chaleur de la maison, retrouver la froidure qui pince, lacère, crevasse…
Je décide de rentrer par l’intérieur, pensant trouver moins de vent. Horreur ! C’est pire encore ! Les vallées servent d’autoroute à la bise et les cols sont de véritables souffleries à blizzard. Je me retourne en permanence, m’enquiert de l'état de santé de mes amis. Les sourire crispés cherchent à me rassurer, mais les visages rougis, les mains exsangues, les yeux vitreux m’enjoignent d’accélérer le mouvement pour être au plus vite à l’abri. Seulement aller plus vite, c’est avoir plus froid. Il me faut choisir de Charybde ou Scylla, et en serrant les dents j’opte pour le très froid très vite. Plutôt mourir congelé rapidement que mourir gelé à petits feux (expression totalement stupide d’ailleurs). Notre ballade se transforme en expédition polaire. Ce n’est plus le Vietnam, c’est Thulé. Cát Bà Port à l’horizon ! Dix litres de thé et de café brûlant plus tard, nous sommes enfin sur le bateau qui nous ramène à Hai Phong, puis train pour Hanoi (chauffé heureusement). Fin du cauchemar.
Eh oui ! Comme souvent, l'accouchement de la nouvelle année se fait dans le froid et la joie. 2016 n'y faillit pas, alors, pour vous réchauffer, je souhaite qu'elle vous apporte le meilleur, et surtout celui d'aimer, d'être aimé, et de vivre en paix.