>>La culture du pavot repart à la hausse en 2016
Un agriculteur afghan dans un champ d'opium dans la région du Helmand dans le Sud de l'Afghanistan, le 11 avril. |
L'Afghanistan produit 80% de l'opium mondial et rien, à part les aléas météorologiques, n'endigue cette culture lucrative qui générait, pour 200.000 ha et 4.800 tonnes de pavot en 2016, 3 milliards de dollars de revenus en 2016, selon les Nations unies.
Les talibans avaient banni la culture du pavot en 2001, quand ils dirigeaient l'Afghanistan. Ils en sont revenus et même s'ils s'en défendent, prélèvent des taxes sur les fermiers producteurs et les trafiquants pour financer leur jihad contre le gouvernement afghan.
Pire, pour William Brownfield, responsable depuis 2011 au Département d'État américain de la lutte anti-drogue : "Les talibans transforment désormais tout le pavot récolté en morphine et en héroïne" affirme-t-il. "L'opium récolté est transformé ici, dans le pays", martelait-il en juillet à Kaboul. "Ils perçoivent ainsi bien plus d'argent s'ils transforment l'opium avant qu'il ne quitte le pays".
Pour preuve : en mai 2017, à la dernière récolte, l'opium (la gomme noire tirée du pavot) se monnayait 163 USD/kilo et l'héroïne de 2.300 à 3.500 USD sur le marché régional.
"Arrivé en Europe, il atteint 40.000 euros le kilo" (45.000 USD) souligne un expert européen de la lutte anti-drogue qui confirme les suspicions américaines.
Pour lui aussi le modèle a changé, estime-t-il en citant les saisies spectaculaires de précurseurs chimiques opérées en Afghanistan, comme l'acide anhydride, nécessaire à la transformation de l'opium en morphine, première étape avant l'héroïne.
50 tonnes au premier semestre 2017, contre 66 tonnes pour l'année 2016, souligne-t-il.
Début juillet, les autorités ont saisi 15 tonnes d'acide anhydride dans l'ouest, près de la frontière avec l'Iran : une des voies d'exportation de la drogue via la Turquie. L'autre partant du Pakistan, depuis Karachi, vers l'Afrique de l'Ouest qui la réexpédie.
Laboratoires clandestins
Les saisies de morphine aussi se sont multipliées : 57 tonnes découvertes en six mois en 2017, contre 43 tonnes en 2016.
"Par comparaison, au premier semestre 2016 on était à 3 tonnes", reprend l'expert qui rappelle "qu'en matière de stup', on saisit environ 10% de ce qui existe réellement".
"C'est facile de monter un labo rudimentaire : des murs de torchis, un toit de chaume et quand l'opération est terminée on évacue" raconte-t-il.
Entre janvier et juin, 46 laboratoires clandestins ont été démantelés par les services afghans, contre 16 au premier semestre 2016 - et 85 pour toute l'année selon ses chiffres - 160 affirme le ministère de l'Intérieur.
Pour le département américain de la lutte anti-narcotique, la DEA, ces saisies ont privé les trafiquants d'environ 300 millions de dollars de revenus depuis le début janvier.
"Des chiffres à la louche bien sûr, relève M. Brownfield, mais dont les talibans perçoivent un pourcentage substantiel".
Selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), qui publie chaque année son rapport sur l'Afghanistan, l'opium fournissait en 2016 "environ la moitié des revenus des talibans".
Pour un haut responsable occidental, c'est plutôt "les deux-tiers" : "Le Helmand n'est qu'une immense usine de drogue. C'est pavot, drogue et talibans", accuse-t-il.
Le Helmand, fief taliban dans le sud du pays, frontalier du Pakistan, assure à lui seul 80% du pavot afghan, toujours ou presque produit dans des zones sous influence talibane, remarque l'UNODC.
Les experts onusiens se montrent circonspects cependant : "Malgré l'implication avérée de quelques commandants talibans dans la fabrication des opiacées, ça ne prouve pas que les talibans, en tant que mouvement, sont mouillés", juge David Dadge, un des porte-parole joint à Vienne, siège de l'ONUDC.
Mais le ministère afghan de l'Intérieur est plus nuancé : "Les talibans ont besoin d'argent pour faire tourner leur machine de guerre, c'est pourquoi ils ont pris le contrôle de sites de production" affirme le porte-parole du département anti-drogue, Sayed Mehdi Kazemi, qui affirme avoir arrêté "53 +drug lords+" l'an dernier.
"Mais ils produisent surtout l'héroïne de l'autre côté de la frontière parce qu'ils savent qu'on les traque", prétend-il.
Les États-Unis ont englouti 8,6 milliards de dollars depuis 2002 dans la lutte anti-drogue en Afghanistan pour des résultats médiocres.
Or la consommation d'opiacées explose aux États-Unis, provoquant une épidémie d'overdose sans précédent (33.000 morts, dont 13.000 dus à l'héroïne en 2015).
"L'héroïne consommée aux États-Unis vient du Mexique, mais c'est quand même un problème pour nous, car 90% de l'héroïne consommée au Canada vient d'ici" insiste M. Brownfield.