Depuis les années 70, Anton Corbijn, de nature pourtant réservée, a forgé des relations uniques avec des groupes de musique célèbres dans le monde entier, comme Depeche Mode, réalisant pour eux au fil des ans des couvertures d’albums et des clips musicaux. Son implication lui vaut souvent le surnom de «membre invisible» de ces groupes. «Pour moi, ces expositions sont une célébration, c’est l’apogée de quatre décennies de mon œuvre», assure-t-il, lors d’une interview.
Des portraits inédits de Kurt Cobain et de son groupe Nirvana, de Nick Cave et de Miles Davis, jusqu’aux photographies de l’artiste Ai WeiWei ou de l’actrice Cameron Diaz, Anton Corbijn a déterré un véritable butin de guerre, exposé en ce moment au Musée de la photographie à La Haye et au musée voisin, le Gemeentemuseum.
Le photographe Anton Corbijn pose en face d’un auto-portrait exposé au Gemeentemuseum à La Haye. |
La première exposition, intitulée «1-2-3-4», présente des images de certains artistes rock les plus connus au monde, dont beaucoup ont été sélectionnées dans les négatifs conservés par Corbijn. Elle montre notamment pour la première fois des photos des Rolling Stones se pavanant avec d’étranges masques cornus, toutes prises dans ce célèbre noir et blanc devenu la marque de fabrique du photographe néerlandais.
Un jeune Mick Jagger regardant la caméra de manière provocante ou Bono, le chanteur de U2, dans son bain, rencontrent également le public pour la première fois.
«Profondes racines néerlandaises»
La deuxième exposition, «Hollands Deep» au Gemeentemuseum, retrace pour sa part le parcours artistique d’Anton Corbijn, de l’adolescent néerlandais dégingandé adepte des concerts de rock au maître de la lumière et du portrait. Les photos sont plus personnelles, explorant notamment les racines calvinistes et rurales de l’artiste.
«Hollands Deep», dont le nom est inspiré par l’estuaire géant du sud de Rotterdam où l’artiste a grandi, comprend une série d’autoportraits le représentant habillé comme ses héros musicaux décédés : Jimi Hendrix, Elvis Presley, John Lennon... Toutes ont été prises dans son petit village natal de Strijen.
Exposition «Hollands Deep» au Gemeentemuseum de La Haye. |
Cette série «allie mon obsession de la musique à l’obsession qu’avaient mes parents, très religieux, de la vie après la mort», assure Anton Corbijn. Elles offrent un coup d’œil sur l’âme d’un homme qui s’est défait de son éducation religieuse pour se plonger avec passion dans l’univers du rock-and-roll et des stars de cinéma - qui l’attirait «tellement plus», confie-t-il.
«À la maison, on m’a toujours enseigné à garder profil bas. Il m’a fallu des années pour réaliser que j’avais toujours voulu être quelqu’un», explique Anton Corbijn. «Mon travail m’a rapproché des gens qui avaient atteint ce but».
«Une époque révolue»
À la veille de ses 60 printemps, il assure ne pas trop se pencher sur sa propre mortalité et compte fêter son anniversaire en comité restreint et «privé».
Ces deux expositions sont «une célébration», estime l’artiste, tout en tirant le constat d’«un monde en train de nous échapper» : «les gens ne pratiquent plus ce genre de photographies. À cause d’Internet, ils ne sont plus assez curieux pour plonger dans le monde, appareil photo à la main, et le découvrir par eux-mêmes».
Ces temps-ci, Anton Corbijn se concentre sur la réalisation de films, ce qui lui prend «presque tout son temps».
Son film d’espionnage A Most Wanted Man (Un Homme très recherché), avec feu Philip Seymour Hoffman, est sorti en septembre, et Life, sa dernière livraison, a été présentée en février au Festival du film de Berlin.
Les longues années à côtoyer des célébrités mondiales n’ont pas déteint sur Anton Corbijn, assure l’intéressé. «Je suis juste un garçon local qui a réussi», lance-t-il avec un sourire.
Les expositions «Hollands Deep» et «1-2-3-4» se tiennent jusqu’au 21 juin au Musée de la photographie et au Gemeentemuseum de La Haye.
AFP/VNA/CVN