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Titouan Morage, ingénieur d'études au Centre de recherches insulaires et observatoire de l'environnement (CRIOBE), montre une nacre récupérée au fond de l'étang de Leucate, le 23 août, dans les Pyrénées-Orientales. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Engagés dans une course contre la montre, des chercheurs tentent de sauver ce deuxième plus grand mollusque au monde, menacé d'extinction. "Aujourd'hui, elle ne survit que dans certaines lagunes. En mer, il n'y a plus de vraie population capable de se reproduire, seulement quelques individus ici et là", se désole Serge Planes, directeur de recherche au CNRS, fixant l'étang de Salses-Leucate.
Depuis 2016, un parasite (Haplosporidium pannaé) qui vit dans les eaux de l'océan Atlantique, a décimé la quasi-totalité des grandes nacres, espèce endémique de Méditerranée pouvant mesurer 1m20 de hauteur et vivre une quarantaine d'années. Il aurait été introduit en Méditerranée par des cargos en provenance de ports africains ou américains, selon l'hypothèse la plus probable.
"On a démarré les travaux en 2018, en essayant de soigner les nacres malades", explique Pascal Romans, responsable du service d'aquariologie à l'Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer et ingénieur de recherche à Sorbonne Université.
Très vite, les scientifiques se rendent compte que c'est peine perdue et se recentrent sur l'idée de conservation et reproduction des individus sains en captivité. Premier objectif : "arriver à déclencher des pontes, même hors période naturelle de reproduction, en jouant sur les paramètres environnementaux dans les aquariums comme la température ou la salinité", détaille M. Romans.
"Pas gagné"
Flanqué d'un masque et d'une combinaison de plongée, Titouan Morage, ingénieur d'études au Centre de recherches insulaires et observatoire de l'environnement (CRIOBE) de Perpignan, scanne attentivement le fond de l'étang de Salses-Leucate, situé à cheval entre les départements de l'Aude et des Pyrénées-Orientales.
Près de 100.000 grandes nacres (Pinna nobilis), encore épargnées par le parasite tueur, y côtoient oursins et huîtres d'élevage. En grattant le sol pour dégager du sable, sans l'abîmer, ce bivalve aux allure de moule géante, M. Morage en extrait huit au total.
Emballées dans du coton, ces grandes nacres feront le voyage jusqu'à l'animalerie marine de recherche hébergée par l'aquarium de Canet-en-Rousillon, une vingtaine de kilomètres plus au sud. Là-bas, calées au fond d'un bassin par paires, elles sont soumises par le chercheur à un choc de température qui va favoriser une libération de gamètes. "On a réussi à obtenir des phénomènes de reproduction, et des œufs fécondés sont devenus larves", se félicite Titouan Morage.
Des nacres dans un bassin de l'aquarium du Canet-en-Roussillon, le 23 août dans les Pyrénées-Orientales. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Mais, trouver la séquence alimentaire permettant de les faire passer du stade larvaire à celui dit de "colonisation", avec la formation de la coquille et sa fixation au fond sablonneux, "n'est pas encore gagné", témoigne Pascal Romans. "Actuellement, on arrive uniquement à une dizaine de jours d'élevage, sachant que la phase larvaire dure généralement trois semaines", poursuit le chercheur.
"Comme le panda"
À long terme, l'équipe dédiée à ce programme espère être en mesure d'accumuler un important stock d'élevage de nacres en captivité, afin de repeupler le milieu naturel, "une fois que la relation entre hôte et parasite sera stabilisée", ajoute-t-il.
Et le temps presse, car une autre inquiétude hante les esprits : "la possibilité d'une transmission inter-espèce : à un moment donné, lorsque le parasite a décimé l'espèce cible, il peut se transférer sur une autre espèce, et là, est-ce que ce sera les huîtres de consommation ? Les moules ?", s'interroge Serge Planes, qui pilote le projet de suivi et de sauvegarde des nacres, emblématiques de Méditerranée.
Dans l'Antiquité, son byssus - fibres très résistantes leur permettant d'adhérer au substrat - était utilisé pour la fabrication de tissus ou d'armures de protection. La grande nacre a également été consommée, notamment en Grèce et en Turquie, jusqu'à avant sa quasi-disparition, rappelle le chercheur.
Mais au-delà de son utilité réelle pour l'homme ou les fonds marin, c'est l'aspect "patrimonial" qu'elle représente que M. Planes met en avant pour sa sauvegarde : "pourquoi s'inquiète-t-on beaucoup de la disparition du panda ? C'est un peu l'équivalent. C'est un symbole de la capacité ou pas de l'homme à empêcher la dégradation des milieux naturels", selon lui.
AFP/VNA/CVN