Le café, spécialité des provinces du Tây Nguyên. |
Photo: VNA/CVN |
Ce matin-là, le temps est gris, suites de l’orage estival de la veille. Pour des motards, c’est plutôt agréable, car la température est plus fraîche, quitte à revêtir un blouson pour affronter les heures matinales. Un pho (soupe de nouilles au bœuf/poulet) quotidien avalé, quittons la province de Kon Tum pour rejoindre la ville de Buôn Ma Thuôt de la province de Dak Lak.
Des trous, de gros trous
La route a laissé la piste Hô Chi Minh continuer vers le Laos, et maintenant elle est redevenue une route comme les autres. Avec une circulation plus importante, qui nécessite d’être vigilant. Nous faisons un petit détour pour admirer le lac Tơ Nưng, à quelques kilomètres de la ville de Pleiku de la province de Gia Lai. Curieusement, hormis les bananiers, ses rives couvertes de pinèdes et ses plages de sable rouge me font penser aux lacs de la Côte d’Azur, en France. Sous la pergola qui surplombe le lac, quelques couples d’amoureux se font des serments pour la vie.
En quittant le lac, nous croisons un guide, en grosse cylindrée, qui effectue les trajets Dà Lat - Dà Nang (Centre), en transportant des touristes. Malgré l’humilité de nos petites motos, nous avons droit à des félicitations et des encouragements de sa part et à la solidarité des motards, en nous indiquant quelques passages difficiles sur la route à venir.
Après un arrêt à Pleiku, pour faire nettoyer ma moto couverte de boue, nous repartons vers Buôn Ma Thuôt. Jusqu’à présent, nous avions eu la chance d’avoir des routes plutôt confortables, exemptes de gros trous, et que nos reins et nos épaules appréciaient particulièrement. Cette fois, la route a décidé de nous donner une leçon, et pendant près de 200 km, nous sautons plus que nous roulons. C’est donc en tressautant sur nos selles que nous traversons l’immense plateau de Pleiku à Buôn Ma Thuôt.
Ici, tout est vaste: le paysage qui s’étend à l’infini, les monts volcaniques qui se dessinent à l’horizon, les plantations de thé, de poivriers et de café qui se succèdent en rangs serrés. Mais, ce qui m’impressionne le plus, ce sont les plantations d’hévéas qui s’étirent sur des dizaines de kilomètres. Dire que cette résine finira en millions de pneus.
À cause de la rusticité de la route, les haltes défilent: arrêt au marché local pour acheter des fruits, pause pour refaire le plein d’essence, arrêts pour le repas de midi et pour boire un verre, etc.
Du bruit, beaucoup de bruit
Après le dernier arrêt dans le chef-lieu de Buôn Hô de la province de Dak Lak, nous nous arrêtons au sommet d’un petit col pour discuter avec des enfants qui gardent des bœufs passant dans une pinède. De là, nous avons vu sur des plantations de thé en terrasse. L’endroit est calme, l’air est frais, et les enfants sont curieux. Ils nous posent beaucoup de questions auxquelles nous répondons.
C’est à ce moment-là que l’on prend conscience de ses limites: le vietnamien est inopérant. Outre mon épouvantable accent qui rend déjà mon discours difficilement compréhensible à toute personne qui n’a pas l’habitude d’entendre un étranger parler vietnamien, mon vocabulaire n’est plus celui de la région. Même mon ami vietnamien a du mal à se faire comprendre. Pour se consoler, on se dit que ces enfants font partie de l’ethnie Gia Rai, et que donc à l’impossible nul n’est tenu. Nous repartons sous des "bye bye" tonitruants.
Le moral remonte rapidement en profitant des derniers kilomètres qui nous séparent de Buôn Ma Thuôt, et heureusement, car à peine arrivés en ville, un incident mécanique aurait pu entamer définitivement notre bonne humeur proverbiale. Ma moto émettait, depuis quelques temps, un curieux bruit de sirène à chaque démarrage, et là ce bruit devient franchement insupportable à tel point qu’il attire l’attention des gens que nous croisons.
Le café est l’un des dix produits d’exportation phares du Vietnam. |
Photo: CTV/CVN |
Nous décidons de tirer les choses au clair. Nous demandons l’adresse du concessionnaire de la marque de ma moto. Un xe ôm (conducteur de moto-taxi) local propose de nous guider, et après avoir traversé la ville, rouge de confusion sur un engin couinant, j’arrive à la concession. Je n’ai pas besoin de parler. En entendant le bruit, le gérant fait le diagnostic "C’est la courroie!", et hèle immédiatement deux ouvriers pour m’offrir un festival de l’efficacité vietnamienne. L’engin est mis sur pont, carter ouvert, courroie ôtée, membrane changée, moteur nettoyé, nouvelle courroie, carter refermé, moto remise à neuf en moins d’une demi-heure. En France, j’aurais attendu trois jours.
Pour arroser cet heureux dénouement, nous nous offrons une halte dans un des endroits renommés de cette bonne ville de Buôn Ma Thuôt: le village-musée du café. Dès notre arrivée, de magnifiques plants de café nous offrent leurs grappes de grains verts à admirer. Mais, le plus agréable est le palais de dégustation de café, digne de temples impériaux de Huê, qui nous offre ses sofas pour nous adonner au culte local: le "cà phê chồn" (café de civettes).
Il est vrai qu’il peut avoir un goût particulier. Ce petit noir fabriqué à partir des cerises de caféier avalées par des civettes et rejetées quasi-intactes par le même animal, après en avoir traversé œsophage, estomac, et intestins. Cette cousine de la fouine ne digérant que la pulpe de la cerise de caféier, le noyau, qui est tout simplement le grain de café, atterri intact dans la crotte de l’animal. Là, bien au chaud, il attend qu’on vienne le chercher pour être nettoyé, puis traité comme ses congénères non avalés, avant de rejoindre un autre système digestif, celui de l’être humain. Un régal pour les gourmets!
Revigorés, nous nous offrons une promenade nocturne dans l’air frais de Buôn Ma Thuôt: petit tour devant le Monument de la Victoire, visite de l’église locale et de la maison communale de Lac Giao. Et, après un excellent repas dans un restaurant, nous retrouvons le calme de nos chambres. Souhaitons que la caféine, aussi crottée soit-elle, ne nous empêche pas de rejoindre Morphée.
Gérard Bonnafont/CVN