Les produits de ce secteur ont pour effet de booster les autres secteurs de l'économie maritime nationale tels que transports, exploration et exploitation pétrolières, exploitation des produits halieutiques, tourisme… qui rapportent des milliards de dollars au pays. Cependant, comment faire pour que l'industrie navale du Vietnam ne tombe pas dans une situation de "puissance sous-traitante" n'est pas un problème simple.
On peut dire que l'industrie navale nationale a émergé plus tard que ses consoeurs étrangères, lorsque la construction mondiale a commencé à se développer vigoureusement. Impatient de combler ce retard, ce secteur a connu en réalité en peu de temps un bond spectaculaire. À rappeler que quand Vinashin a envisagé de construire un bateau de 6.500 DWT, des voix se sont élevées pour émettre des doutes sur les capacités du groupe. Mais, en 1997, ce navire a été mis à l'eau. Deux ans plus tard, le vietnamien a réussi à construire un autre bateau de 11.500 DWT qui a ensuite effectué un tour du monde, s'arrêtant dans des pays très exigeants en matière de qualité des navires comme États-Unis, Japon, Allemagne… Dès lors, une série de bateaux de fort tonnage (22.500, 34.000, 53.000 DWT), de pétroliers (104.000-105.000 DWT), de navires de transport de voitures (4.900 et 6.900 véhicules) ont été construits au Vietnam. En particulier, Vinashin a lancé en 2009 un dock flottant de pétrole (FSO : Floating Storage and Offloading) de 150.000 DWT, le plus grand jamais fabriqué au Vietnam. Il est long de 258,14 m - soit plus de 2 fois plus que la longueur d'un terrain de foot -, haut de 48,6 m - comme un bâtiment à 16 étages - et large de 46,4 m. Il pèse recevoir des navires de 150.000 tonnes, soit le triple des bateaux de 53.000 tonnes construits auparavant au Vietnam. Mais les multiples succès de l'industrie navale nationale ne s'arrêtent pas là. En effet, la diversification des types de bateaux (navires de charge, paquebots, bateaux de transport de voitures, navires-citernes…) marque aussi un développement vigoureux de ce secteur.
Son bond en avant en aussi peu de temps a permis au Vietnam de conclure une série de contrats de construction navale, qui lui ont rapporté des milliards de dollars. En particulier, en 2009 où la crise économique mondiale a entraîné dans son sillage la faillite de nombreuses sociétés et augmenté le nombre de chômeurs, les commandes de l'industrie navale nationale se sont chiffrées à plus de 12 milliards de dollars, créant des dizaines de milliers d'emplois. Se situant au 6e rang mondial de la construction navale, le Vietnam ambitionne de figurer dans la liste des 5 premières puissances du monde.
Une puissance de sous-traitance ?
Le paradoxe, c'est que tandis que la construction navale se développe très rapidement, ses industries auxiliaires évoluent, elles, très lentement. C'est ainsi que le Vietnam doit actuellement faire face au risque de devenir une "puissance de sous-traitance" pour le monde.
Selon un économiste à Hô Chi Minh-Ville, l'industrie navale nationale ne peut fabriquer que certains matériaux et équipements simples tels que matériel de soudure, peinture, mât de charge, coupeuse du métal, aménagement intérieur, motopompe… Plus de 80% des matériaux et des équipements au service de la construction et de la réparation des navires doivent être importés. Alors, l'industrie navale du Vietnam se base en réalité sur la sous-traitance, d'où une faible valeur ajoutée. Ainsi, bien que les pays occidentaux n'occupent qu'une faible partie de production navale internationale, ils reçoivent plus de 30% des profits. La raison, c'est qu'ils sont spécialisés dans la construction de bateaux de qualité avec un taux de bénéfice élevé.
D'après Ngô Khac Lê, spécialiste de la navigation à la Compagnie de transport et de location de bateaux Vietfracht, la construction de navires de fort tonnage est moins difficile et moins lucrative que celle des bateaux de faible tonnage ou paquebots. Si les navires construits par le Vietnam ne sont vendus que 40-50 millions de dollars, les prix des bateaux de plaisance fabriqués à l'étranger s'élèvent à quelques centaines de millions de dollars, voire un milliard de dollars pour les paquebots ou ferry. Actuellement dans le monde, de grands pôles du trafic maritime tels que Grande-Bretagne, France, Japon… s'orientent vers la construction de bateaux de faible tonnage qui nécessitent beaucoup de matière grise et qui rapportent gros, du fait que la construction de grands navires de transport est pénible et peu lucrative. "Sans des efforts, la modernisation des technologies et des stratégies, nous aurons du mal à rattraper les grands constructeurs navals du monde", dit M. Lê.
Selon les statistiques de l'organisation Clarkson PLs, le total des commandes de navires dans le monde a diminué de 99,46% en avril 2009 en glissement annuel, soit le plus bas niveau depuis 1996. Selon les prévisions, 2010 serait une année pleine de défis pour l'industrie navale mondiale qui devrait faire face à l'annulation de commandes et à l'excès de la capacité de ses chantiers navals. Alors, "si la construction navale vietnamienne ne se penche pas sur la +qualité+ au lieu du développement de la quantité comme aujourd'hui, devenir une +puissance de sous-traitance+ sera inévitable", estime Ngô Khac Lê.
Selon le Service de l'enregistrement et du contrôle du Vietnam, parmi les 128 chantiers navals dans l'ensemble du pays, le nombre de ceux qui sont capables de réparer des navires de plus de 6.500 tonnes ne se compte que sur les doigts de la main. La plupart des grands bateaux doivent être réparés à l'étranger, notamment à Singapour. Cela est bien regrettable, car la réparation navale dégage des recettes assez conséquentes.
Les 3 premiers constructeurs navals - Japon, Corée du Sud et Chine - se partagent actuellement 89% des contrats du monde. Bien que l'Allemagne se situe au 4e rang mondial, elle n'en détient que 2%.
La construction navale a souvent été considérée comme représentative de la capacité industrielle d'un pays, d'autant que la capacité militaire navale a joué et joue encore un grand rôle dans la puissance d'un pays. Après avoir été la force des nations occidentales jusqu'au milieu du XXe siècle, la construction navale commerciale s'est déplacée au Japon en reconstruction au début des années 1960, puis a symbolisé l'émergence industrielle de la Corée du Sud dans les années 1980. Elle devient aujourd'hui le symbole de l'émergence de la Chine en tant que puissance industrielle. Ce déplacement progressif des grands chantiers navals vers les pays émergents industriellement tient aussi au fait que cette industrie réclame une très nombreuse main-d'œuvre dont le coût, dans les nations les plus développées, devient non concurrentiel face aux nouveaux arrivants à bas salaires.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la construction navale en Europe s'est vue concurrencée par le marché asiatique. Le Japon, puis la Corée du Sud notamment - grâce à de faibles coûts de main-d'œuvre et une très bonne organisation du travail - sont devenues en moins de 30 ans les premiers constructeurs, forçant les différents grands chantiers européens à se spécialiser pour ne pas réduire leur activité. Ainsi, seuls les secteurs de la construction de navires de passagers ainsi que celle des navires spécialisés sont restés l'atout des chantiers italiens, français ou encore scandinaves, les asiatiques produisant environ 80% des navires réguliers tels que tankers ou porte-conteneurs. Aujourd'hui, la construction navale européenne se trouve face à une nouvelle conjoncture, et les méthodes de travail et de gestions doivent évoluer pour sauver ce secteur. En effet, le Japon et la Corée du Sud d'une part, ayant réalisés depuis la fin des années 1980 d'importants progrès en matière de modernisation et de productivité, et la Chine d'autre part, s'affirment de plus en plus, obligeant les constructeurs européens à se réorganiser pour rester compétitifs.
Hoàng Minh/CVN