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Un membre de l'équipe médicale de l'hôpital militaire marocain, à Nouaceur, au sud de Casablanca, vérifie une bouteille d'oxygène le 18 avril. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
La crise sanitaire actuelle a mis sous tension même les systèmes hospitaliers les plus avancés, qui peinent notamment à s'approvisionner en respirateurs artificiels. Mais les experts craignent que cette attention portée au maillon high-tech de l'assistance respiratoire ne masque un besoin encore plus criant et prioritaire, pour les systèmes de santé les plus vulnérables : l'oxygène médical, composante clé des soins intensifs.
"La réalité c'est que l'oxygène est la seule thérapie qui va sauver des vies en Afrique et en Asie-Pacifique à ce stade", commente Hamish Graham, pédiatre et chercheur à l'hôpital universitaire de Melbourne. "J'ai peur que la focalisation excessive sur les respirateurs ne tue, si on ne résout pas les problèmes d'oxygène", explique-t-il. Selon un rapport publié en février sur plusieurs milliers de cas en Chine, près de 20% des malades du COVID-19 ont eu besoin d'oxygène.
Le nouveau coronavirus attaque les poumons, causant des formes aiguës de détresse respiratoire et entraînant une baisse dangereuse du niveau d'oxygène dans le sang. "Dans les hôpitaux des pays riches, l'oxygène va de soi", explique le Dr Graham. Mais ailleurs, "les soignants sont parfaitement conscients du problème : ils se battent chaque jour pour pouvoir fournir de l'oxygène à leurs patients".
De nombreux gros hôpitaux de pays en développement disposent de bouteilles d'oxygène dans les blocs opératoires et les services, ainsi que de "concentrateurs", des équipements portatifs qui permettent de filtrer et de purifier l'air ambiant. Mais des études montrent que moins de la moitié des établissements hospitaliers d'Afrique et d'Asie-Pacifique disposent d'oxygène à tout moment, insiste le Dr Graham. Et ils sont bien moins nombreux à être équipés d'oxymètres de pouls, ce petit appareil qu'on met au bout du doigt du patient pour mesurer son taux d'oxygène dans le sang.
Cette inquiétude n'est pas nouvelle parmi ceux qui soignent les patients atteints de pneumonie, maladie infectieuse la plus meurtrière chez les enfants de moins de 5 ans. Malgré des politiques nationales en place, au Nigeria, un des pays les plus touchés, la situation dans certaines régions est "très très inquiétante", estime Adamu Isah, de l'ONG Save the Children. Il est courant de voir des enfants "souffrir et suffoquer", raconte l'ancien médecin. "On se sent inutile. Il n'y a pas grand chose à faire sans oxygène".
"À l'aveuglette"
"Les systèmes de santé en Afrique et en Asie du Sud ne pouvaient pas être plus exposés à une telle pandémie, ils n'ont pas investi dans les thérapies respiratoires", constate de son côté Leith Greenslade, coordinatrice de la coalition Every Breath Counts. "C'est terrifiant", ajoute-t-elle.
Des personnes achètent le 10 avril des bouteilles d'oxygène dans une usine, à Guayaquil, en |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Malgré la mort de 800.000 enfants victimes de pneumonie chaque année, la maladie ne reçoit pas la même attention que le sida, le paludisme ou la tuberculose. Et les autorités sanitaires mondiales ont "complètement négligé" la question de l'oxygène, estime Leith Greenslade.
"L'absence de données mondiales (sur les approvisionnements en oxygène) va être un problème majeur pour répondre au COVID-19 parce qu'on navigue à l'aveuglette, on ne sait pas quels pays en ont le plus besoin", ajoute-t-elle. L'épidémie étant encore relativement peu développée en Afrique et dans certaines parties de l'Asie, il reste malgré tout "probablement une fenêtre de deux mois" pour agir, insiste-t-elle.
Même s'il est difficile de prédire comment le nouveau virus se répandra dans cette partie du monde, les experts appellent à renforcer les systèmes de soins en urgence. "Comme partout, il faut aplatir la courbe, mais si les établissements n'ont pas de lits de soins intensifs - ou peu comme au Malawi où il y en a 25 pour 17 millions d'habitants -, ça ne marchera pas", souligne Gwen Hines, de Save the Children.
Son organisation travaille justement au Malawi, où quelques cas ont été confirmés, pour alimenter des concentrateurs d'oxygène en énergie solaire, alors que le réseau électrique est intermittent et qu'il n'y a pas de site de production d'oxygène. Mais en pleine crise mondiale, les experts craignent que la communauté internationale ne puisse pas agir suffisamment rapidement pour pallier ce manque d'oxygène et d'autres équipements de base dans les pays les plus pauvres.
Au Nigeria, l'aide devrait commencer par l'envoi d'oxymètres de pouls, puis de concentrateurs utilisables dans des dispensaires modestes, et après seulement des respirateurs, plaide Adamu Isah. "J'ai peur que si cette pandémie dure plus de deux mois, nous devions faire face à de très graves problèmes", s'alarme-t-il. "En Europe ou aux États-Unis, ils ont peut-être les capacités de faire face aux besoins, mais pas en Afrique, même en temps de paix".
AFP/VNA/CVN