Chirurgie esthétique

Prendre soin de soi, se contempler dans un miroir pour guetter la moindre ride, le moindre bouton disgracieux, vouloir plaire. C'est vieux comme le monde… ou comme Hanoï.

>>Ballon vole

>>Une vraie partie de plaisir

>>À en rester bouche bée

>>Un pépin contre les pépins

Le lac de Hoàn Kiêm (lac de l'Épée restituée) de Hanoï avec la tour de la Tortue au milieu.

Je ne sais pas dans quel immense miroir Hanoï, si belle et si majestueuse, s’est contemplée, ni quel perfide conseiller lui a dit qu’elle était vieille et toute ridée, mais depuis plusieurs années, elle n'a de cesse de vouloir être toujours plus belle. À l'instar d'une gandine devant son miroir, elle inspecte son visage, le dissèque, le scanne. Elle culpabilise parce que la ligne des sourcils n’est pas assez fine, ne voit que le comédon, là sur le nez. Et, comme une vieille coquette, elle entreprend de se ravaler la façade…L’expression est triviale, mais tellement réaliste.

Chasse aux rides

Tout d’abord, Hanoï scrute, jusque derrière ses oreilles, la moindre ride, le moindre petit bouton disgracieux, la moindre parcelle de peau trop sèche ou trop grasse. Et forcément, à force de regarder on finit par trouver. Là, un pâté de vieilles maisons aux murs glauques : on enlève. Ici, une ruelle biscornue et malodorante : on supprime. Plus loin, un mur qui oblige à contourner : on dégage.

Des rues trop étroites : on élargit. D’antiques entassements immobiliers : on aligne. Et attention, face à cette fièvre esthétique, personne n’est à l’abri. Ainsi, avec un ami qui travaille rue Tràng Tiên, nous avons nos habitudes dans un petit restaurant installé dans une ancienne maison coloniale, derrière la rue Ly Thai Tô. La semaine dernière, en place du sourire de la patronne, c’est un énorme trou béant qui nous accueillait pour combler celui de notre estomac. En une semaine, un siècle a disparu. La pince à épiler extirpe les poils disgracieux à grand renfort de grues gigantesques, la gomme efface les rides à grands coups de pelleteuses.

La vie quotidienne dans la rue de Dinh Liêt dans le Vieux quartier de Hanoï.
Photo : Anh Tuân/CVN

C’est l’avènement du marteau-piqueur et du compresseur, scalpels modernes à la hauteur de l’opération plastique de la ville. On taille, on coupe, on élimine, on redresse. Bref, on sculpte un nouveau visage. Certes pour le promeneur égaré, cela peut surprendre. Hanoï, la douce, aux lacs si limpides dans lesquels se mirent les amoureux. Hanoï, la verte, aux allées bordées de flamboyants. Hanoï, la sereine, aux vieux quartiers chargés d’histoire. Hanoï, la prude, qui ne se dévoile qu’à ceux qui savent la séduire.

Hanoï est devenue un immense chantier à ciel ouvert qui laisse voir ses dessous sans pudeur. Elle n'hésite pas à aller gratter le ciel au-dessus de sa tête, élevant d'immenses colonnes de verre et d'acier, pour le plus grand bonheur de ceux qui aiment s'entasser dans les ascenseurs. Étonné celui, qui comme Ulysse, reviendrait d'un long voyage. Il hésiterait à reconnaître la capitale aux airs de ville provinciale derrière la forêt de fiers immeubles qui en cachent le cœur, et d'excavations qui en présument la naissance de futurs.

Souffrir pour être belle

Qu’il se rassure ce promeneur : c’est toujours comme cela en chirurgie esthétique, tous les professionnels vous le diront. Je me souviens encore d’un stage à l’hôpital, dans un service de ce type, où j’avais pour mission d’aider les patientes à se préparer psychologiquement à leurs modifications nasales, buccales ou mammaires, et parfois les trois à la fois. Combien en ai-je vu des visages qui entre l’ancien et le nouveau, en cours de cicatrisation, ressemblaient davantage à un vampire qu’à une vestale (si tant est que les vestales aient pu être des «canons» de la beauté) ? Horribles à faire peur, avant d’être belles à se damner.

Aujourd’hui, Hanoï est ainsi : opérée à trottoirs ouverts, blessures béantes protégées de palissade en tôle, derrière lesquelles s’affairent des centaines de chirurgiens. Chrysalide, elle se transforme dans les affres de la douleur. Car la ville n’oublie pas son nom originel : Thang Long (envol du Dragon). Et déjà, se dessine son nouveau visage. Comme un trait de mascara souligne la séduction du regard, la fresque en mosaïque se déroule sur le mur de la digue du fleuve Rouge.

Le pont de Long Biên, ouvrage construit à l'époque coloniale française par l'entreprise Daydé & Pillé.

Comme des touches de couleurs pour donner de l’éclat aux pommettes, des parcs fleuris surgissent dans les quartiers. Les avenues s’embellissent, s’élargissent, et donnent naissance à des mails où il fait bon se promener. D’anciens murs retrouvent leurs habits d’apparats. Les marchés font peau neuve. Tout doucement, derrière les cicatrices on devine Hanoï la belle, prête à séduire le monde entier pour être digne de sa place dans ce troisième millénaire.

À ma modeste place, je ne peux qu’admirer cette extraordinaire faculté féminine à souffrir pour être belle, en espérant que le résultat sera à la hauteur des sacrifices. Mais en tant que soupirant, je voudrais dire à Hanoï que nous ne l’aimons pas seulement pour sa beauté future. Nous l’aimons aussi pour son charme d'aujourd'hui. Nous aimons son Vieux quartier aux trottoirs encombrés et aux odeurs entêtantes. Nous aimons le chaos au pied du pont Long Biên. Nous aimons ses vieux marchés, labyrinthes truculents qui nous happent sans pitié. Nous aimons ces vieilles maisons si longues et si étroites qui recèlent tant de mystères.

Nous aimons les siècles d’Histoire racontées tout au long de la ville, témoins de son courage et de sa ténacité. Nous aimons nous perdre dans les ruelles tortueuses, à la recherche de rencontres inattendues. Nous aimons ces légendes qui s'inscrivent dans l'âme des pierres millénaires de la ville. Nous aimons suivre les traces de ceux qui nous ont précédés, recherchant dans la réalité ce que leurs livres ont laissé à notre imagination.

Nous aimons Hanoï d'hier autant que nous admirons Hanoï de demain. Nous t’aimons Hanoï telle que tu es ! Alors, si tu veux être encore plus belle, c’est ton choix, mais de grâce n’oublie pas que la beauté parfaite est souvent plus froide à nos cœurs que la séduction éternelle d’une petite imperfection.


Gérard Bonnafont/CVN

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