>>Coup de main ou coup de jus ?
Faire la fête, une joyeuse habitude vietnamienne. |
Photo : CTV/CVN |
Pas tant mémorable par le fait qu’elle aurait pu amener les convives à un état de délabrement tel que les neurones en auraient conservé des traces indélébiles. Non, simplement mémorable parce que ce fut la première que j’organisais au Vietnam. Et surtout que j’organisais à la française sans connaître les codes festifs locaux. J’avais encore à apprendre la relativité culturelle en matière de bamboche vietnamienne et, à vrai dire, je peux dire que ce fut ma fête, au propre comme au figuré.
Un cadre rêvé
Lorsque je me suis installé au Vietnam, j’avais décidé de séjourner durant six mois dans un village qui n’avait jamais reçu d’étranger. Ceci pour m’obliger à transformer mes balbutiements de vietnamien en un langage cohérent et compréhensible. J’avais donc opté pour une maison dans un petit village du district suburbain de Gia Lâm (Hanoï), éloigné des routes fréquentées, au bord du fleuve Rouge.
La maison que j’avais trouvée n’était pas vraiment celle traditionnelle vietnamienne. D’architecture plutôt occidentale, elle cachait ses 250 m² au sol, derrière un haut mur fermé par une double porte à battants digne d’un château fort. Dans le jardin, une tonnelle au toit de chaume servait de salon d’été au bord d’un ruisseau peuplé de mille poissons de toutes les couleurs et franchi par un charmant pont japonais. La haie de bambous et de bananiers qui la bordait sur deux côtés, et la petite cour arrière où une table de pierre abritée par un carambolier permet de prendre le thé, ajoutaient un charme certain à cette demeure.
Mais le meilleur, c’était la piscine dans la maison. Plus exactement, dans la salle à manger. De fait, le rez-de-chaussée était constitué par une immense pièce qui comportait un coin-cuisine, un espace où trônait une immense table pouvant accueillir près de 20 personnes, jouxtant un grand bassin de natation duquel on pouvait accéder à un sauna. Le rêve de tout expatrié ! Une maison pour faire la fête.
Ce jour-là, je tiens une occasion : c’est mon anniversaire. Et on va se le faire à la française. J’attends donc plusieurs amis vietnamiens francophones et quelques amis français. Le mot d’ordre est : fête toute la journée avec buffet permanent, bain dans la piscine, projection de diapos, musique et karaoké. Nous devons être une trentaine, l’atmosphère risque d’être sympathique. Depuis 07h00, assisté de mes deux intendants habituels, je prépare toasts, sandwichs, salades et autres plats mi-vietnamiens, mi-français. L’occasion d’un apprentissage culinaire mutuel pour eux et moi.
Faire la fête entre amis ou en famille est un moment fort de la vie. |
Photo : CTV/CVN |
11h00, la sonnette de la porte d’entrée m’avertit de l’arrivée des premiers invités : mes amis français. Conformément aux usages courants en France, ils arrivent à l’heure de l’apéritif. J’attends bien évidemment d’un moment à l’autre mes autres invités. Pour faire patienter mes amis, je leur propose de se jeter à l’eau. Accord immédiat, surtout par les enfants, ravis de pouvoir s’éclabousser dans une salle à manger.
Midi. Passé le plaisir intense de barboter un verre d’apéritif à la main, l’inquiétude nous prend. Mes invités se seraient-ils trompés de jour ? Se seraient-ils égarés ? Je passe quelques coups de fil. «On arrive, on est en chemin!». J’avais oublié qu’au Vietnam, faire 30 km hors de la ville représente une aventure, alors que pour les Français, ce n’est qu’une péripétie. Mes amis étaient partis de Hanoï en convoi et ils s’étaient arrêtés pour se restaurer un peu avant de continuer leur chemin. 13h00, ils arrivent.
Invitation surprise
Dans mon village, l’étranger c’est déjà celui qui habite à plus de 10 km. Imaginez l’effervescence de voir arriver brutalement 25 motos inconnues qui vont s’entasser devant la maison du Tây (Occidental) ! Tout le monde vient voir, et comme en plus les portes, toujours fermées habituellement, sont grandes ouvertes, c’est une aubaine de pouvoir admirer cette si belle maison dans notre village.
Devant toutes ces personnes agglutinées devant l’entrée, j’aurais eu mauvaise presse à ne pas les faire entrer. Et de 30 personnes initialement prévues, ce sont plus de 50 personnes qui déambulent dans ma maison, ouvrant toutes les portes, essayant les lits, les fauteuils, le sofa, zappant sur les télécommandes des téléviseurs.
Ambiance fellinienne ! Bizarrement, seule la piscine sera épargnée. En dehors de mes amis français, aucun de mes hôtes n’en profitera. Le buffet se vide à une vitesse phénoménale. En urgence, j’envoie mes intendants refaire des provisions, et près de 20 personnes se mettent autour de la table pour refaire toasts et salades. Chacun laissant libre cours à son imagination, cela donne un résultat gustatif fort surprenant.
Mais une fête sans imprévu n’est pas une vraie fête. L’imprévu, c’est le gâteau que j’avais commandé pour clore le festin. Un immense gâteau à trois étages, pour 30 personnes. Et je ne sais pourquoi, j’avais accepté que ce soit les futurs beaux-parents d’un ami proche, pâtissiers de leur état, à qui j’avais rendu visite, qui m’en fasse cadeau. L’intention était touchante, mais la pâtisserie fort éloignée de mon domicile. En effet, de la ville de Hai Phong à Gia Lâm, il y a plus de 100 km. Distance que mon ami a parcouru en moto, tenant d’une main la boîte à gâteau. Je vous laisse imaginer l’épreuve que cela a dû être, au milieu de la circulation de la route nationale N°5, et surtout pour éviter de faire tomber ou bousculer la boîte. Mais c’est sous les applaudissements frénétiques qu’il arrive devant chez moi, portant fièrement la boîte à bout de bras.
Pour saluer ses admirateurs et leur serrer immédiatement la main, il pose la boîte sur la selle de sa moto. Las, le temps des nombreuses poignées de main de salutation correspond au temps que la boîte met pour glisser de la selle et tomber sur le sol en s’écrasant. Le gâteau se répand, et les étages s’écroulent pour ne plus former qu’une masse informe. Mon ami est décomposé et il me faudra toute ma bonne humeur pour lui rendre le sourire. C’est sous les éclats de rire que le gâteau est ramassé et attaqué à la petite cuillère par tous les invités réunis. Y compris par le policier venu s’enquérir de ce rassemblement chez l’étranger, et que j’ai invité à participer aux réjouissances.
Si pour le gâteau, ça n’a pas été une partie de plaisir, pour les convives, ça a été une belle fête.