Chaud et froid

Une mélodie qui devient scie, un temps qui devient froid, des jours qui deviennent fêtes… Tout doucement l’hiver s’installe du côté du fleuve Rouge, alors que l’été continue à se prélasser au bord du Mékong.

Depuis plusieurs semaines, impossible de lui échapper. Il sort du poste que j’allume le matin en prenant mon «pho». Il règne en maître dans les surfaces commerciales. Il se glisse dans les cafés branchés. J’allume mon téléviseur et le voilà qui pointe son nez. J’ai beau zapper, d’une chaîne à l’autre, il revient me narguer. Il avait même pris le train qui me conduisait de Hanoi à Hai Phong (Nord) par vidéo interposée !

Le vent d’hiver est partout. Chantée, hurlée, susurrée, fredonnée, la ritournelle s’étale sans vergogne. Comme un virus, elle mute, s’adapte, en rythme pop, jazz, rap. Elle prend possession des esprits et contamine petit à petit la population.

Quand on se surprend à en siffloter les notes, c’est trop tard. Le mal est fait : on est dans la période de Noël et des fêtes de fin d’année ! Et donc, il faut qu’il y ait de la froidure, des luges et des boules de neige…

Qu’importe que du côté des vergers tropicaux et des marchés flottants du Mékong, le thermomètre caracole autour des 30°C ! Qu’importe, on va faire comme si !

 

Noël au balcon à Dà Lat (province de Lâm Dông, hauts plateaux du Centre).

Pieds au froid

Et, comme sur un gigantesque plateau de cinéma, le Vietnam plante le décor de Noël. D’abord le sapin, qui est à Noël ce que le kumquat est au Têt Nguyên Ðán (Jour de l’An vietnamien). Sauf que le kumquat pousse à 150 m de chez moi, où il expose fièrement ses fruits oranges avant d’entreprendre sa grande migration annuelle dans deux mois, alors que des sapins il y en a bien peu du côté du Sud Lointain. Qu’à cela ne tienne, par la grâce de la pétrochimie, de beaux sapins plus verts que vert peuvent se dresser dans les halls d’hôtels, restaurants, et vitrines de magasins. Sur les places des grandes villes, ce sont d’immenses cônes enguirlandés de lumière qui rappellent à ceux qui l’auraient oublié que l’on entre en période de fêtes.

Comme tout le monde, à moins de passer pour un père ingrat, j’ai dû aussi sacrifier au rite. Une heure à retrouver dans le capharnaüm du dernier étage le carton où reposait le conifère en polyéthylène. Une heure à le déplier pour qu’il retrouve une forme digne de sa condition. Une heure encore à diriger une symphonie à plusieurs mains, celles de ma fille et de ses copines de ruelle, pour suspendre boules, sujets, étoiles, faux cadeaux, et autres fioritures, et enfin brancher les guirlandes lumineuses. Une heure ensuite à écouter l’insidieuse mélodie à la gloire du vent d’hiver, en esquissant quelques pas de danse dignes de dandinement de canards. Même le chien est allé se réfugier au fond du garage. Il est vrai qu’avec des boules de Noël aux oreilles et des guirlandes en collier, il n’était pas à la fête !

Associé au sapin, le père Noël. Et surtout son bonnet rouge et blanc. Suspendu par centaines aux étalages de la rue Hàng Ma, dans le Vieux Quartier de Hanoi, il commence à prendre possession des têtes. Déjà, les caissières de mon supermarché habituel exhibent le couvre-chef festif, en attendant qu’il assure sa suprématie sur les crânes enfantins, transformant les rues de Hanoi ou de Hô Chi Minh-Ville en une cour de récréation gigantesque pour pères Noël en herbe.

 

Un père Noël qui passe à la vitesse du vent...d'hiver !

Tête au chaud

Notez qu’il y a bien d’autres souffrances possibles le jour de Noël !

J’ai encore en mémoire un jour de Noël à Dà Lat, dans la province de Lâm Dông (hauts plateaux du Centre). Après les agapes de midi, nous avions décidé de regarder le monde d’en haut, en escaladant le mont Lang Biang, ou plutôt en laissant une jeep cacochyme nous y conduire… Elle toussotant, nous tressautant, notre équipage était parvenu au sommet dénudé, végétation rase, battu par tous les vents de la création.

Pour l’heure, c’était plutôt le soleil qui y prenait ses aises, et tandis que notre véhicule d’aventure tentait de se refaire une santé mécanique, nous parcourions le promontoire. De quelque côté que portait la vue, ce n’étaient que moutonnement de collines, sillons de vallée, rubans de rivières.

Dà Lat au loin semblait un village pour poupées, et les humains que nous voyions s’agiter dans la plaine paraissaient des fourmis laborieuses. Le ciel à portée de main et la terre à nos pieds, nous étions sur un nuage !

Plus de deux heures, à frissonner au spectacle des téméraires qui s’envolaient en parapente, à suivre leurs spirales aériennes qui les emmenaient vers ceux d’en bas. Plus de deux heures, à marcher au pas lent des petits poneys noirâtres promenant les enfants comme s’ils étaient des princes. Plus de deux heures, à s’allonger sur l’herbe pour admirer les papillons qui flottaient en volutes multicolores au dessus d’arbustes rabougris. Plus de deux heures, à se laisser caresser par le soleil de Noël, et notre jeep, requinquée par l’approche du garage, nous a ramenés au XXIe siècle, sans même un borborygme du pot d’échappement.

Joyeux Noël à tous !

La journée a été belle, la soirée le sera moins. C’est au moment du dîner que tout s’est déclenché. Un mal de tête à croire que des génies avaient choisi mon cerveau pour une sarabande endiablée, un visage rouge à faire pâlir de jalousie un Romanée-Conti, une température à faire bouillir le mercure du thermomètre. Je savais ce qui m’arrivait : le coup de chaleur ou insolation !

Laissant mes compagnons de fête la faire sans moi, je m’étais alité, poche de glace sur la tête, sous une climatisation polaire pour éviter de dépasser le seuil fatidique des 40°5, qui ne m’aurait pas donné l’occasion de la présente narration. Et tandis que mon organisme tentait de reprendre le contrôle de mon métabolisme, je pensais à cette apparente impossibilité : une insolation le jour de Noël, alors que les sapins sont blancs, les boules de neige volent, les traîneaux glissent, et que le gel enguirlande les toits, de stalactites ! Comme quoi, les images d’Épinal ont la vie dure. À tel point d’ailleurs que Noël n’est pas à un paradoxe près.

J’en veux pour preuve, ce qui se passe dans le Nord du Vietnam, en ce moment. Là, si la neige n’est pas au rendez-vous, hormis sous forme de gel artificiel qui blanchit sapins et vitrines, le froid s’épand sans vergogne. C’est la sortie des anoraks, des moufles et des cache-nez. Après le règne du coton, c’est le règne de la laine. Chez soi, on porte le gilet, le châle s’étale sur les épaules, la couette prend de l’épaisseur. Bref, on se couvre ! Enfin, pas tous…

En effet, le Vietnam semble avoir un effet miraculeux sur les touristes étrangers qui, malgré des températures flirtant avec les 12-13°C, continuent à se promener en short, maillots sans manches et tongs ! Alors même qu’à ce niveau de fraîcheur dans leur pays d’origine, ils revêtiraient les mêmes protections que nous avons ici…

Le Vietnam étant un pays chaud, il doit y faire chaud. Noël ou pas, vent d’hiver ou pas ! La méthode Coué appliquée aux écarts de température, malgré les joues rougies par la bise et le nez qui coule pour protester contre ce traitement inhumain !

Dites, petit papa Noël, si j’offre une moitié de mon manteau à un touriste transi, vous accepteriez de faire disparaître de mon environnement sonore ce satané refrain qui glorifie un traîneau tintinnabulant sur des chemins enneigés ? Merci à vous et joyeux Noël à tous !

 

Texte et photos : Gérard BONNAFONT/CVN

 

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