C'est le premier pas qui compte

Une gare, c'est souvent un point de départ. Départ en voyage, départ pour une nouvelle vie, départ pour l'aventure. Départ certes, mais pas toujours en train, contrairement à ce que l'on pourrait croire.

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C‘était ‘il y a plusieurs années déjà. Avec un ami, nous avions décidé de relier Hanoï à Saigon, assis sur une selle de moto. Une belle aventure à une époque où l’armada de touristes néophytes en matière de pilotage de moto n’avait pas encore envahie les routes, devenues depuis plus dangereuses et moins «authentiques». Les 400 premiers kilomètres ne nous paraissent pas présenter un intérêt majeur, d’autant plus que nous les avions déjà parcourus en voiture l’an dernier, nous avions décidé de prendre le train de nuit qui doit nous conduire à Vinh (province de Nghê An, Centre), d'où nous repartirions en moto.

Faux-départ

Le soir du départ, sous une pluie battante, nous nous présentons à la gare de Hanoï pour mettre nos motos en bagages accompagnés dans le train. Opération que mon ami vietnamien doit prendre en charge, tandis que j’attends, surveillant nos sacs de voyage, au milieu de la cohue et du tohu-bohu de la gare-capitale. Encore une fois, je peux vérifier la différence qui existe entre le chaos et le désordre. Dans le désordre, tout est inorganisé, il n’y a que confusion et bousculade, pour n’aboutir à aucun résultat. Dans le chaos, il y a mouvement permanent, réorganisation constante des interactions entre chaque élément et le tout, pour, dans une sorte de fluidité inconstante, parvenir à atteindre un but.

Et, à nouveau je constate que les Vietnamiens sont experts en gestion du chaos. Les gens vont et viennent, se croisent, se faufilent, se hèlent et s'impatientent. Des mères disputent leur enfant qui ne va pas assez vite ; des enfants pleurent parce que les parents vont trop vite ; des maris, lourdement chargés d’un téléphone portable, houspillent leurs épouses qui traînent alors qu’elles n’ont qu’à porter sacs et dernier-né. Des retardataires sprintent in-extremis, dégoulinants de pluie et de sueur. Et malheur à toute personne qui paraît hésitante, elle est aussitôt agrippée par des chauffeurs de taxi ou des «xe ôm» (moto taxi) en quête d’une course profitable. Rajoutons à cette fresque quelques vendeuses à la sauvette qui proposent dans un sabir anglo-vietnamien, nourriture et souvenirs, quelques personnages cherchant manifestement à éviter les policiers présents, et qui proposent des produits beaucoup plus troubles.

Enfin, au milieu de toute cette foule, des employés impavides qui distribuent aux égarés, des renseignements comme on donne une aumône à un miséreux. Et pourtant, dans toute cette confusion, les trains et leurs passagers partiront à l’heure. Enfin, presque tous ! En effet, mon ami revient vers moi, le sourire aux lèvres et m'annonce qu’il pensait que les motos pourraient partir avec nous à Vinh, mais qu’en fait cela est impossible, car le trajet est trop court, et le train ne prend pas les motos en bagages accompagnés.

Et là, je vérifie, une fois encore, la différence essentielle entre l’esprit vietnamien et l’esprit français : le Français vouerait aux pires gémonies son ami en lui disant qu’il aurait pu s’en rendre compte avant ; il se désespèrerait de ne pouvoir partir à temps et imaginerait son projet tomber à l’eau. Le Vietnamien reste calme au milieu de la tempête ; il considère que cet imprévu n’est qu’un incident de parcours et prend en main son destin en décidant que le trajet se fera en moto, puisqu’il ne peut se faire en train.

Enfin l'arrivée

Et qu’importe qu’il soit 20h30, qu’il fasse nuit, que la route soit encore détrempée par la pluie, et que Vinh soit à 290 km de Hanoï. Un Français cartésien verrait sans doute de l’inconscience, là où un Vietnamien confucianiste voit de l’adaptation à son environnement. Ce qui, reconnaissons-le, est une grande qualité, très utile notamment dans les périodes tourmentées. Ceci étant, il y a des limites, même à l’adaptation. Je négocie donc un trajet jusqu’à la province de Ninh Binh (Nord), et propose de rattraper notre retard sur le programme prévu, le lendemain.

Proposition acceptée, bagages arrimés sur les motos, casques vissés sur la tête, nous prenons la direction de Ninh Binh. Malgré les consignes officielles en matière de sécurité routière, malgré les campagnes d’information télévisuelles, malgré les efforts éducatifs accomplis auprès des écoliers, les Vietnamiens continuent, en grande partie, à ignorer l’usage des phares, à confondre la droite et la gauche, à oublier que leurs motos sont équipées de clignotants…En outre, la cohabitation routière entre piétons, vélos, motos, autos, camion et bus, déjà périlleuse en plein jour, devient véritablement suicidaire en pleine nuit. La vue est mise à rude épreuve.

En effet, il faut anticiper sur les nombreux nids de poule qui parsèment la route, discerner dans la nuit les ombres mouvantes des cyclistes égarés au milieu de la chaussée, éviter l’aveuglement des pleins phares de voitures surgissant à toute allure, etc. Heureusement, la nuit, camions et bus sont rares, et la lumière des phares nous prévient de l'arrivée de motos, par les voies transversales. La pluie a cessé depuis longtemps, la température est douce, et le vent de la vitesse nous rafraîchit.

Les villages défilent dans l’obscurité, lumières scintillantes dans le lointain, kaléidoscope de halos de lumières devant les maisons, auréoles de lumière des lampadaires isolés… Parfois, une bourgade ou une ville plus importante, encore animée d'une vie intense ; arrêt à un feu rouge, regards étonnés de voir un «nguoi ngoai» (étranger) dehors, en moto à cette heure-là ; des sourires, des «Hello !», et nous repartons…

Passé Phu Ly (province de Hà Nam, Nord), la campagne s'endort, et nous sommes de plus en plus seuls sur la route. Il est déjà 11h00, et la fatigue se fait sentir. Mes yeux pleurent en permanence, car j’ai commis l’erreur fatale de n’avoir mis ni lunettes, ni visière et, je reçois en vrac, sur ma fragile cornée, insectes, poussière et vent. Difficile d'apprécier à sa juste valeur cette promenade nocturne !

Enfin, les lumières de Ninh Binh à l’horizon. En rentrant dans la ville, nous rattrapons une moto : les passagers sont des connaissances de mon compagnon de route, qui travaillent dans un hôtel de cette province. Nous arrivons à l’hôtel : motos à l’abri, bagages déchargés, pièces d'identité produites, il est 11h45 ! La chambre est fraîche, le lit moelleux, la douche bienvenue, mes yeux sont rouges comme ceux d’un lapin russe. Nous avons fait 90 km depuis Hanoï. Et il en reste plus de 200 !

Finalement, peut-être que partir en train d’une gare n’est pas une si mauvaise idée.


Gérard Bonnafont/CVN

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