La moto est le moyen de transport de la plupart des Vietnamiens. |
Photo: VNA/CVN |
Pour quiconque vit au Vietnam, il est aisé de constater que la moto reste le moyen privilégié pour se promener, aller au travail, transporter gens, meubles et animaux. On la bichonne, la nettoie, et la protège. Il en est de même pour son aïeul, le vélo, qui, s’il a perdu sa place prépondérante, reste encore l’ami fidèle de l’écolier ou de quelques nostalgiques du pédalage. Place à part pour le vélo de sport qui assure son sprint dans les lueurs des aubes de fin de semaine.
Mais, pour que tous ces deux-roues puissent avancer, au pied et à l’œil, de nombreuses petites mains sont à l’affût le long des trottoirs, prêtes à réparer, remplir, gonfler, remettre en roue. Il suffit de savoir regarder.
Un bon coup d’air
Autrefois, les roues de vélo étaient construites comme celles des carrosses: un moyeu en bois, un axe en acier, des rayons en bois et des cerclages en fer. Pas confortables du tout, mais avec un risque de crevaison qui frisait l’impossible. Pour rendre la vie plus agréable à notre fondement, nous avons inventé le pneu en caoutchouc, plein d’abord, puis comble du luxe et gonflé ensuite.
Quel bonheur que cette petite épaisseur d’air comprimé qui nous aide à épouser les aspérités, bosses, creux et autres obstacles que routes et chemins nous mettent sous la roue. Sauf que de petites peccadilles comme des morceaux de fer, des cailloux trop aiguisés, des bouts de verre mal placés, s’échinent à percer le latex, juste pour faire de nous des dégonflés. Et un deux-roues, bipède ou motorisé, qui n’est plus gonflé, devient difficile, voire dangereux à manœuvrer. D’où le réflexe pavlovien acquis par des décennies de pratique vélocipédiste: ça se dégonfle, il faut regonfler.
Et surtout, il faut que ça tienne… on ne va pas s’éreinter à regonfler tous les 100 m. Et, c’est là qu’interviennent nos anges gardiens. Pour les rencontrer, c’est très simple: regarder avec attention les bords de trottoir. Vous voyez là une bassine emplie d’une eau dont la pureté est inversement proportionnelle à son efficacité. Si des poissons ou des anguilles sont en stage de survie extrême, alors c’est que nous sommes devant l’étal d’un poissonnier de rue.
Au Vietnam, si votre moto est en panne, il ne faut qu'un coup de téléphone pour recourir au service de réparation ambulant. |
Mais, si à côté de la bassine se trouve une pompe à pied, alors nous nous trouvons devant une station de réparation et gonflage de pneu pour vélo. Ne cherchez pas de magasin, devanture ou autre bâtiment. La station c’est la bassine, la pompe, et la petite boîte dans laquelle se trouve rustines et colle. Complètement à plat, vous vous arrêtez devant les ustensiles sauveurs, et aussitôt apparaît le propriétaire-réparateur qui somnolait sur sa chaise à l’ombre d’un arbre ou sirotait un thé glacé avec quelques compagnons de voisinage.
Regonfler ou réparer ne prend que le temps d’une discussion sur le temps qu’il fait, la qualité du pneu, l’endroit où vous allez, et quelques milliers de dôngs. C’est la chambre à air pleine que vous pouvez reprendre la route. Et pour la moto dont, noblesse oblige, la roue ne se contente pas d’une pompe à pied pour retrouver sa forme, il suffit de repérer une bassine avec un compresseur qui stationne à côté d’elle. Des petites stations comme cela pullulent le long des rues dans les grandes villes, comme autant de balises qui nous souhaitent bonne route.
Un bon gros plein
Mais, contrairement au vélo, la moto est aussi gourmande de carburant fossile. La petite aiguille qui s’agite sur le cadran du tableau de bord, flirte avec la zone rouge depuis quelques kilomètres. Signe de "déshydratation" de l’engin. Il faut rapidement étancher sa soif d’hydrocarbure et trouver un bistrot à moto sous forme de pompe à essence. Seulement voilà, dans ce quartier de la ville, les édicules munis d’un tuyau salvateur sont aussi rares qu’une molaire dans la mâchoire d’un édenté.
Le regard longe le trottoir, jusqu’à repérer après une centaine de mètres, une bouteille en plastique verdâtre qui se dresse au bord de la rue. Le touriste de passage pourrait n’y voir qu’un déchet de la société de consommation, négligemment oublié ici, au mépris de toute règle écologique. Mais, pour l’œil avisé de celui qui habite ici, ce modeste objet de polyéthylène téréphtalate signale un poste à essence.
Dans un atelier de réparation de motos à Hanoï. |
En effet, il suffit de s’arrêter à côté de la bouteille, pour qu’aussitôt une dame aux charmes aussi opulents que matures, surgisse du porche de la maison pour proposer ses services…Qu’on ne s’y trompe pas! L’accorte personne n’est là que pour étancher la soif de l’engin à deux-roues: dépannage d’essence, et non des sens!
D’un geste autoritaire, elle enjoint de descendre de moto pour que l’on puisse relever la selle et découvrir le réservoir qui se blottit en-dessous. Avec une dextérité consommée, elle y introduit un entonnoir, calaminé d’expérience, et y déverse les deux litres de carburant d’un bidon de détergent reconverti en citerne à essence. Dans ce type d’opération, il est inutile de vérifier combien de litres sont en réalité transvasées dans le réservoir.
En effet, si vous avez l’outrecuidance de faire observer que le bidon paraissait plutôt avoir une contenance d’un litre et demi, à chaque fois vous aurez la même réponse accompagnée d’un regard courroucé: le bidon fait deux litres et il est plein au départ, deux postulats de base qu’il n’y a pas à remettre en question, donc puisque le contenu est passé du bidon au réservoir, il y a deux litres d’essence dans ce dernier. Point final, payez, et circulez, il n’y a rien à voir!
Sans doute, la modernisation galopante repoussera-t-elle ses petites "entreprises" de dépannage aux confins des villes. Déjà surgissent de quartiers en quartiers de superbes stations-services, aux pompes rutilantes et opulentes, avec le poste de gonflage ad hoc pour chaque type de pneu.
Un petit bout de vie qui joue les filles de l’air.