Aux Philippines, des villages qui s’enfoncent inexorablement dans le sol

Quand Mary Anne San Jose a déménagé à Sitio Pariahan il y a plus de 20 ans, elle se rendait à l’église à pied. Mais aujourd’hui, il lui faudrait nager pour rejoindre l’édifice aux murs incrustés de coquillages.

>>Juillet 2019, mois le plus chaud jamais mesuré dans le monde

>>L'humanité au défi de nourrir 10 milliards de personnes sans ravager la planète

>>Profession: chasseur d'icebergs au Canada

Une chapelle au milieu des eaux de la baie de Sitio Pariahan, à Bulacan (Philippines).
Photo: AFP/VNA/CVN

La cause principale de cet état de fait n’est pourtant pas la montée des eaux consécutive au changement climatique qui menace des millions de personnes dans l’archipel et dans le monde entier.

Le responsable, c’est l’enfoncement graduel dans les entrailles de la terre de cette localité côtière du nord des Philippines, comme d’autres dans la région. Les villages sont inondés par l’eau saumâtre de la baie de Manille et des milliers de personnes sont déplacées.

Les experts parlent de lente catastrophe, provoquée essentiel-lement par le pompage abusif des nappes phréatiques - souvent par le biais de puits illégaux - afin d’alimenter des maisons, des usines, des fermes, dans un contexte de boom économique et démographique.

L’ampleur du désastre est bien plus grande que celle représentée par la montée du niveau des océans, avec à la clef d’importants risques encourus par bon nombre des 13 millions d’habitants de la capitale philippine. Les eaux montantes menacent la population et leurs biens, et la situation est aggravée par les marées hautes et les inondations qui vont de pair avec la vingtaine de tempêtes tropicales et de typhons s’abattant sur l’archipel chaque année.

"C’était si beau ici avant. Les enfants jouaient dans la rue, raconte Mary Anne San Jose. Maintenant, on a toujours besoin d’un bateau".

La fuite, seule issue possible

La plupart des habitants de Sitio Pariahan ont déjà fui. Il ne reste plus que quelques familles dans ce village doté d’une école élémentaire, d’un terrain de basket et autrefois d’une chapelle, désormais inondée. Leurs maisons sont installées sur des pilotis en bambou ou sur un tas de terre qui subsiste.

Les enfants mettent 20 minutes en bateau pour se rendre à l’école, à l’intérieur des terres, et les habitants vivent pour la plupart de ce qu’ils pêchent.

Des régions situées au nord de Manille comme les provinces de Pampanga et Bulacan, où se trouve Sitio Pariahan, s’enfoncent dans le sol de 4 à 6 cm par an depuis 2003, selon des observations satellites. Soit une perte d’environ un mètre en 16 ans, relève Narod Eco, membre d’un groupe de chercheurs qui surveille la situation.

À titre de comparaison, l’ONU estime que les niveaux moyens de la mer augmentent dans le monde d’environ trois millimètres par an.

Surélever les routes

Le phénomène d’enfoncement est probablement permanent car le sol des zones les plus affectées est souvent argileux et l’argile se contracte quand l’eau est extraite des nappes phréatiques. "C’est un désastre qui se produit déjà, inexorable", se lamente Narod Eco.

Des écolières pataugent dans les eaux à Mabalacat (Philippines), en 2018.
Photo: AFP/VNA/CVN

Dans certaines zones, les autorités, anticipant le pire, ont surélevé les routes. Ce qui donne lieu à d’étranges tableaux, avec des voies de circulation se retrouvant à hauteur des poignées de portes des immeubles qui bordent les rues.

Ces dernières décennies, au moins 5.000 personnes ont dû fuir ces régions essentiellement rurales du nord de Manille pour échapper aux eaux qui recouvraient l’intérieur des terres, expliquent des responsables de la gestion des catastrophes. De nombreux quartiers limitrophes de la baie de Manille sont également menacés.

Le problème du pompage des nappes souterraines de cette région est bien connu. Un moratoire sur le forage de nouveaux puits dans la région du grand Manille est en place depuis 2004.

Faire respecter cette interdiction et fermer les puits illégaux existants est toutefois une gageure, en raison du manque de moyens humains: le Conseil national des ressources en eau compte une centaine d’employés censés faire le gendarme dans tout l’archipel.

"Nous n’avons pas assez de ressources humaines, dit Sevillo David, directeur de ce Conseil. C’est pour nous un très gros défi et je crois qu’on fait de notre mieux".

"La tête qui touche le plafond"

La demande en eau s’est envolée à Manille depuis 1985 car la population y a pratiquement doublé. Dans le même temps, le PIB national a été multiplié par dix. Cette croissance explosive a provoqué une soif extrême, particulièrement dans les industries agricoles et manufacturières du nord de la capitale.

"L’enfoncement (des sols) représente une menace grave pour les gens, pour leur mode de vie et leur culture, prévient Joseph Estadilla, porte-parole d’une alliance qui cherche à protéger les localités côtières de la baie de Manille. La situation ne fera qu’empirer dans un avenir proche".

Manille n’est pas unique dans son genre. Plusieurs autres grandes villes sont menacées par l’effondrement du sol, en particulier en Asie.

Jakarta s’enfonce chaque année de 25 cm. Dans la capitale indonésienne, où vivent 10 millions d’habitants à la confluence de 13 cours d’eau, la moitié de la population n’a pas accès au réseau d’alimentation en eau si bien que de nombreux habitants creusent des puits illégaux.

Selon les experts, Bangkok, Houston ou Shanghai risquent l’inondation d’ici quelques dizaines d’années, conséquence d’une mauvaise anticipation des risques, de violentes tempêtes et de marées hautes qui s’ajoutent à l’exploitation de l’eau en sous-sol.

À Sitio Pariahan, les irréductibles font tout pour rester. "Chaque année, on surélève le plancher, explique Mme San Jose. Aujourd’hui, j’ai la tête qui touche presque le plafond".

AFP/VNA/CVN

Rédactrice en chef : Nguyễn Hồng Nga

Adresse : 79, rue Ly Thuong Kiêt, Hanoï, Vietnam.

Permis de publication : 25/GP-BTTTT

Tél : (+84) 24 38 25 20 96

E-mail : courrier@vnanet.vn, courrier.cvn@gmail.com

back to top