Au Vietnam aussi, le mouvement #MeToo prend de l’ampleur

Le mouvement féministe mondial contre le harcèlement sexuel MeToo a su libérer la parole de nombreuses femmes à travers le monde. Au Vietnam, bien qu’il se développe de plus en plus, les victimes se voient encore souvent refuser justice et sécurité.

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Le "hashtag" #MeToo à l’origine du mouvement mondial galvanisant la parole des femmes victimes d’harcèlement sexuel prend de l’envergure.
Photo: AFP/VNA/CVN

Dans le sillage de l’affaire Weinstein, le hashtag #MeToo libérant la parole des victimes d’agressions et de harcèlement sexuels a rapidement pris une dimension virale sur les réseaux sociaux. Il appelle à briser l’omerta et rapporte des témoignages allant du sexisme quotidien et du harcèlement de rue aux agressions sexuelles.

L’histoire de Loan, habitante de Quang Tri (Centre), n’est pas un cas isolé. La jeune femme s’est rendue à la police de quartier afin de porter plainte pour harcèlement sexuel sur son lieu de travail. Après plusieurs heures d’attente, la jeune femme a du faire part d’un compte rendu détaillé des faits perpétrés par son collègue. L’homme s’en sortira avec une amende de 200.000 dôngs.

Absence de loi

Lors d’une entrevue privée accordée au journal en ligne Vnexpress, la jeune femme raconte: "Je n’en revenais pas. J’ai vraiment été sous le choc", partage la comptable de 30 ans, la voix remplie d’amertume. "J’ai abandonné mon honneur pour révéler un crime dont j’ai été victime et demander justice". Pour Loan, la sanction symbolique subie par son agresseur ne fait qu’enfoncer le couteau dans la plaie.

Les investigations policières ont montré qu’à la fin du mois de juin 2018, un collègue masculin s’était en effet introduit dans le bureau de Loan pour lui demander un "baiser”. Face au refus de la jeune femme, il l’avait alors agressé. La police avait identifié des marques et des bleus sur le visage et les lèvres de Loan, causés par le collègue en question, mais aucune trace de lutte n’étaient visibles sur le lieu de l’agression, ni aucun signe de vêtements déchirés. Ils ont ainsi simplement conclu à "un acte non sexuel dont le but était simplement de taquiner", résultant ainsi en une amende de 200.000 dôngs.

Loan a déclaré que ce genre de punition, non seulement ne dissuadait en rien les agresseurs mais au contraire, créait l’effet inverse et décourageait les femmes à dénoncer les crimes dont elles sont victimes. "Elles vont naturellement penser à deux fois avant de signaler leur agression si elles doivent faire face à autant de préjudice, pendant que l’auteur du délit lui, s’en sort de manière quasiment indemne. C’est une épreuve difficile à surmonter", s’étrangle-t-elle.

"Je pense que cette condamnation est complètement risible. C’est se moquer ouvertement de la victime", déclare à la presse la directrice de l’Institut pour les études de développement social, Khuât Thu Hông. Et d’ajouter "Cela ne protège ni ne garantit en rien ni la sécurité ni l’honneur de la victime contre ce genre de harcèlement".

Nguyên Anh Thom, de l’Association des avocats de Hanoï, constate qu’une amende de 200.000 dôngs est bien trop clémente et trahit une faille du système car il n’existe aucune clause encadrant le harcèlement sexuel de manière légale. À l’heure actuelle, le harcèlement équivaut généralement à un acte incriminant à l’honneur d’autrui, entraînant une amende de 100.000 à 300.000 dôngs.

Thom a également déclaré que le harcèlement sexuel était en hausse au Vietnam. Il s’agit d’une pratique répandue et banalisée notamment sur le lieu de travail ainsi que dans les espaces et les transports publics. Des études ont mis en lumière le problème du harcèlement sexuel dans la vie quotidienne des Vietnamiennes. Dans le rapport de 2014 de l’ONG Action Aid, il a été démontré que 87% des femmes interviewées ont déjà été victime d’harcèlement sexuel au moins une fois dans des espaces publics ou sur leur lieu de travail.

Dans un pays où les discussions autour de la sexualité restent encore un sujet plus ou moins tabou, la parole des femmes victimes d’abus sexuels, elles, se libèrent. Ces dernières partagent de plus en plus leurs histoires sur les réseaux sociaux sous les "hashtags" #ngungimlang (stop au silence) et #MeToo.

Malgré une sensibilisation et une prise de conscience grandissantes du public envers le harcèlement sexuel, rares sont les victimes qui obtiennent justice au Vietnam, et de nombreuses femmes croient que #MeToo est voué à l’échec à cause de la culture du "victim blaming" (blâmer la victime), qui persiste à ce jour dans le pays.

Préjudice culturel

Loan raconte qu’au lendemain de sa déposition "des rumeurs ont commencé à circuler à mon égard, que j’étais sa maîtresse et qu’il ne pouvait plus satisfaire mes demandes et que c’était pour ça que j’avais imaginé cette histoire de toute pièce". La comptable explique que ses collègues ne lui ont plus adressé la parole du jour au lendemain. "Certaines d’entre-elles sont même allées jusqu’à me traité ouvertement de menteuse et de fille de petite vie".

Loan s’attendait à des critiques de la part de la sphère publique une fois que son histoire avait été apportée à l’attention des autorités, mais jamais partage-t-elle, elle ne s’était attendue à une telle réaction de la part des femmes. Après l’incident, la jeune comptable a dû prendre deux semaines de congés et s’est isolée chez elle, frôlant la dépression.

Khuât Thu Hông confirme que la culture du "victim blaming", à l’instar de nombreux autres pays dans le monde, existe bel et bien au Vietnam. "La société en général et vietnamienne en particulier, a tendance à penser que la victime a certainement dû provoquer la situation et qu’elle est en somme responsable de ce qu’il lui arrive". À cause de ce préjudice, nombreuses sont les victimes qui n’osent pas élever la voix de peur de se voir pointer du doigt par leurs familles, leur amis, leur collègues et par la société en général.

"Je pense qu’il s’agit de l’obstacle le plus important à la prévention du harcèlement sexuel au Vietnam", partage Hông. L’autre obstacle majeur est également d’ordre juridique selon un rapport de 2017 de l’ONU. Le harcèlement sexuel n’est en effet pas encore encadré par la loi. Les officiers de police admettent ne pas pousser les investigations pour protéger l’honneur de la famille si la victime ne porte aucun signes de blessures physiques ou de vêtements déchirés.

Loan est retournée travailler depuis et a changé de département afin d’éviter tout contact avec son agresseur. "Honnêtement, je n’ai plus confiance en moi, et j’ai constamment peur. Je me crispe à chaque fois que quelqu’un passe à côté de moi, mais c’est la vie. Il faut bien que je travaille. C’est une bonne chose qu’il me reste encore une poignée de collègues qui me soutiennent …", dit-elle.

Malgré ces obstacles et défis, Hong reste optimiste et confiante en l’avenir du mouvement #MeToo. "La route est longue et semée d’embûches, mais je pense que #MeToo et #ngungimlang vont continuer de se développer. La prise de conscience est là et continuera son essor au sein de la population. La société vietnamienne est sur la bonne voie", exprime-t-elle.

Bao Ngoc - Vanessa Muhlheim/CVN

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