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Un groupe de manchots Humbolt (Spheniscus humboldti), une espèce menacée qui niche seulement au Chili et au Pérou, sur l’île Dama, à environ 500 km au nord de la capitale chilienne Santiago. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Les défenseurs de ces animaux qui ne se reproduisent qu’au Chili et au Pérou se sont battus pendant des mois contre les plans de l’entreprise Andes Iron, qui voulait installer une mine à ciel ouvert de fer et de cuivre, et un port.
Baptisé Dominga, le projet visait une production annuelle de 12 millions de tonnes de fer et 150.000 tonnes de concentré de cuivre.
Il a fait la une des journaux pendant des mois, mais a aussi divisé le gouvernement de l’ex-présidente Michelle Bachelet et transformé les réseaux sociaux en champ de bataille.
La décision d’y couper court est tombée fin août : un comité rassemblant les ministres de l’Environnement, de l’Agriculture, de l’Économie, de la Santé, de l’Énergie et des Mines a opposé son veto au projet, estimant qu’il ne garantissait pas la sécurité des manchots.
Car la zone choisie pour implanter la mine et le port est en effet toute proche de la Réserve nationale des manchots de Humboldt, créée en 1990 sur les îles de Dama, Choros et Gaviota, connues pour leurs ballets de dauphins, baleines et lions de mer.
Rodrigo Flores, vice-président du syndicat de pêcheurs de Punta Choros, une petite crique d’où l’on embarque vers ces îles, se félicite de ce veto.
"Dominga est un projet invasif, pour la nature et pour la société”, dit-il. “Il est incompatible avec un lieu considéré comme un +point chaud+ de la biodiversité au niveau mondial", c’est-à-dire une zone où la richesse de l’écosystème est menacée par l’activité humaine.
Des milliers d’emplois
Mais ce n’est pas l’avis de tous. Joyce Aguirre, une habitante de La Higuera, fait partie des défenseurs de Dominga. Tout projet a un impact, relativise-t-elle. "Nous voulons être vigilants et surveiller ce qui va se passer. Ce sont nous qui vivons ici et donc jamais nous ne voudrons endommager le territoire".
Dans cette région qui compte parmi les plus économiquement sinistrées du Chili, certains habitants de La Higuera lorgnaient les milliers d’emplois promis par les promoteurs du chantier.
Le projet représentait un investissement de 2,5 milliards de dollars, dans un pays qui est le premier producteur mondial de cuivre et où l’activité minière est reine, générant 8% du Produit intérieur brut (PIB).
Mais les experts scientifiques de l’ONG Oceana ont mis en garde contre ses risques, alors que le terminal prévu pour exporter le fer et le cuivre qui seraient extraits devait être construit à seulement 30 km de l’île de Choros.
Ils citent le va-et-vient des cargos en pleine zone de transit des cétacés, le risque de fuite de pétrole dans l’eau et, tout simplement, l’occupation par une activité industrielle d’une surface marine qui fournit en alimentation plusieurs espèces menacées, dont la loutre marine.
Un graffiti contre le projet minier "Dominga" dans la ville chilienne de La Higuera. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
"J’ai fait de la plongée dans d’autres régions et je me suis rendu compte que les résidus de l’activité minière arrivent au fond de l’océan et tuent toute la vie existante, souligne Mauricio Carrasco, un pêcheur. C’est ça que nous craignons".
À Punta Choros, 160 familles de pêcheurs veillent sur la Réserve nationale des manchots de Humboldt, qui couvre 880 ha et qui héberge 80% de la population de l’espèce. Plusieurs études récentes ont montré que ses eaux sont particulièrement pures, dénuées de toute pollution, grâce au travail de préservation de la zone.
Mais la réserve "a été en permanence menacée par des méga-projets", rappelle Liliana Yanes, directrice régionale de l’Office national des forêts à Coquimbo.
En 2010, le géant français Suez avait dû renoncer à son ambition de construire une centrale thermoélectrique à Barrancones, près de Choros. Face à la colère populaire, avec des manifestations de milliers d’habitants dans la région et à Santiago, le président de l’époque, Sebastian Piñera, avait exigé que la centrale soit bâtie ailleurs.
À La Serena, ville distante de 60 km, une partie de la population regrette la marche arrière sur le projet Dominga.
"(Nous ressentons) de la déception, en tant que Chiliens, que le gouvernement nous coupe les ailes (...) car cette commune est l’une des plus pauvres du Chili", témoigne Marta Arancibia.
Elle fait partie d’une association d’habitants qui a signé avec l’entreprise Andes Iron un accord dans lequel cette dernière s’engageait à reverser à la localité une partie de ses gains, de 2 à 5 millions de dollars par an, pour des investissements dans l’éducation, la santé et l’accès à l’eau potable en échange du soutien des habitants.
"L’État n’a pas été présent pour nous ces 20 dernières années, donc nous voyons ces projets d’entreprises privées comme des opportunités", renchérit Joyce Aguirre, elle aussi signataire.
Andes Iron, de son côté, n’a pas dit son dernier mot : elle a annoncé qu’elle allait saisir le Tribunal environnemental pour défendre son projet et qu’elle irait jusqu’à la Cour suprême si besoin.
AFP/VNA/CVN