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Le livre +Le Consentement+ de Vanessa Springora photographié à Paris le 31 décembre 2019 |
Elle avait 14 ans, lui 49. Pendant plus de trois décennies, l'histoire de cette liaison répréhensible, ainsi que de toutes les complaisances qui ont permis qu'elle perdure, était restée enfouie. Elle est brutalement ressortie dans ce récit publié le 2 janvier 2020.
L'opprobre a été jeté sur Gabriel Matzneff, prix Renaudot 2013, privé de son allocation du Centre national du livre pour écrivains à faibles revenus, et renié par son éditeur Gallimard, qui a retiré de la vente ses ouvrages controversés.
Matzneff, 84 ans, doit être jugé en septembre pour apologie de la pédophilie. Il reste visé par une enquête pour viols sur mineurs de moins de 15 ans.
Celui que Matzneff a décrit en touriste sexuel l'accompagnant à Manille afin d'y trouver de jeunes garçons, Christian Giudicelli, s'en est mieux sorti jusque-là. Il est toujours juré du Renaudot, aux côtés de cinq collègues déjà en place en 2013, et les livres de cet autre écrivain Gallimard, âgé de 78 ans, restent en vente, dont le dernier ("Les Spectres joyeux", 2019) où il qualifie Matzneff de "très fidèle complice".
Passé le scandale
Un autre Matzneff serait-il imaginable en 2021? Peut-être, même si ce n'est pas sous la même forme, estiment des chercheuses qui se sont intéressées aux représentations des atteintes sexuelles dans la littérature.
"Le discours décomplexé de Matzneff sur la pédocriminalité n'est plus possible", d'après Anne-Claire Marpeau, agrégée de lettres. Cependant, "le questionnement est retombé, passé l'effet de surprise et de scandale. Dans l'enseignement de la littérature, je n'ai pas l'impression que l'affaire Matzneff ait changé grand-chose".
Hélène Merlin-Kajman, qui a publié en octobre La Littérature à l'heure de #metoo, rappelle que le tollé lors de la publication en 2002 d'un roman sur un pédophile, Rose bonbon de Nicolas Jones-Gorlin, toujours chez Gallimard, n'avait amené personne à évoquer le cas Matzneff.
Or le romancier racontait à peu près la même chose, sous forme autobiographique. "Il suffisait de le lire", relève-t-elle. "Oui on assiste à un changement, où l'opinion publique donne entièrement raison à la victime. Mais j'ai le sentiment que le monde des lettres va bouger à la traîne du monde tout court. Ce n'est pas génial".
"Spécifique à la France"
L'écrivain Gabriel Matzneff à Bordighera (Italie) le 16 février 2020. |
La critique et le public passent encore à côté de certaines choses.
Dans le roman de Florent Marchet, Le Monde du vivant, paru en août mais terminé avant l'affaire Matzneff selon l'éditeur Stock, la protagoniste, une collégienne, est violée par un congénère. "Sans se soucier de la sécheresse des muqueuses, il force l'entrée de son sexe", raconte le narrateur, avant que l'adolescente ne signifie son refus d'un acte auquel elle n'avait en rien consenti.
Cette scène est passée inaperçue auprès des critiques littéraires. Ces derniers n'ont vu que le reste du roman, celui d'une entrée tendre dans la sexualité. Pour l'hebdomadaire catholique La Vie, il donne "la description des émois naissants du corps de Solène". Pour Le Figaro, l'adolescente "s'éveille aux mystères sensuels de la vie".
L'une des romancières françaises les plus en vue, Annie Ernaux, elle-même s'était longtemps refusée à qualifier de viol sa première relation sexuelle, brutale, à 18 ans, y compris quand elle l'a racontée dans Mémoire de fille en 2016. Elle n'a franchi ce pas qu'après l'affaire Matzneff, pour une série documentaire radio diffusée par France Culture début décembre.
"Vous avez raison, maintenant j'ai raison de dire viol (...) Je dois bien mettre un mot, pour mes contemporains, mes contemporaines de 2020. Et c'est ce mot-là", affirmait-elle.
AFP/VNA/CVN