Album d’images

Une quinzaine d’années que je suis au Vietnam, une quinzaine d’années que je ne cesse de découvrir, de m’étonner, de m’émerveiller. Images gravées dans ma mémoire d’un pays qui m’a touché au cœur.

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Une image du Vietnam... parmi des milliers d’autres, pour un pays aux mille visages.
Photo: Gérard Bonnafont/CVN
Photo: Gérard Bonnafont/CVN

Les villages défilent dans l’obscurité, lumières scintillantes dans le lointain, kaléidoscope de halos blanchâtres devant les maisons, auréoles lumineuses des lampadaires isolés… Parfois une bourgade ou une ville plus importante, encore animée d’une vie intense. Arrêt à un feu rouge, regards étonnés de voir un étranger dehors en moto à cette heure-là. Des sourires, des "Hello!", et nous repartons…

Nous traversons une petite ville où vient de s’achever une représentation d’un festival de l’humour. Encombrements de motos, familles qui rentrent chez elles, musique des haut-parleurs: il y a une vie au Vietnam, après le jour. Il est déjà 23h00, et la fatigue se fait sentir. Mes yeux pleurent en permanence, car j’ai commis l’erreur fatale de n’avoir mis ni lunettes, ni visière, et je reçois en vrac, sur ma fragile cornée, insectes, poussières et vent. Difficile d’apprécier à sa juste valeur cette promenade nocturne.

Symphonie de bruits

Le klaxon a certainement été inventé pour le Vietnam. Pas une seconde sans que retentisse le son de ces instruments impétueux et tempétueux. Je dis bien "ces instruments", car il existe plusieurs types de klaxons. Le plus répandu est le klaxon modeste des motos, à son uniforme et monotonal. Il permet simplement de signaler sa présence à ceux qui précèdent pour éviter les collisions dues à leurs intempestifs changements de direction.

Il y a ensuite le klaxon de moto à ton modulé, communément nommé "klaxon à l’italienne". Celui-ci est le klaxon des machos qui permet à son propriétaire de se faire remarquer au milieu de la foule anonyme et de zigzaguer allègrement, en coupant la route au mépris de sa sécurité. Puis, dans le registre supérieur, on trouve le klaxon des voitures. Puissant, ferme, décidé, il annonce en général l’arrivée du véhicule, mais peut aussi, lorsqu’il est répété rapidement, manifester l’impatience du conducteur automobile vis-à-vis de ses congénères qui l’empêchent d’avancer à la vitesse qu’il a choisie.

Enfin, au niveau supérieur, impérial et tonitruant, il y a le klaxon des bus et des camions. Celui-ci signifie: "J’arrive, dégagez le passage parce que moi je ne m’arrêterai pas! Et je suis le plus gros". En général, on obtempère à un tel ordre, surtout que le rapport de force entre la plus grosse des motos et le plus petit des camions est toujours en faveur du second. Avec tous ces sons de klaxon, je me demande s’il ne faudrait pas créer un orchestre philharmonique de klaxons, qui pourrait jouer des symphonies destinées à égayer l’acoustique urbaine.

Sans-gêne poli

La file d’attente au Vietnam. Ici, il existe plusieurs tactiques pour réaliser le tour de force d’être servi en premier quand on est le dernier arrivé. La plus commune est de remonter toute la file ou plutôt le groupe agglutiné devant le guichet, pour venir s’immiscer entre le vendeur et son client et prendre ainsi la place de celui-ci. Curieuse impression, quand on est le client, que de voir brusquement le visage de son interlocuteur, masqué par une abondante chevelure, qui vous chatouille le nez alors même que vous n’avez pas terminé de demander votre renseignement ou d’effectuer votre transaction.

Et maintenant, avec le casque, l’opération est d’autant plus redoutable que son contact avec nos narines est plutôt abrupt. Une autre stratégie plus musclée consiste à bourrer de coups de coudes les côtes de vos voisins, escomptant que la résistance de celles-ci soit moindre que celle de votre articulation cubito-radiale. Ceci entraîne inéluctablement le repli immédiat des importuns qui vous empêchent d’arriver au premier rang. Il existe une autre pratique, celle de s’infiltrer par glissement successif et sinueux, pour remonter progressivement la file. Cette pratique est plutôt utilisée par les personnes fluettes qui prennent ici leur revanche sur les statures imposantes.

Paysage de la région Nord-Ouest du Vietnam.

Il y a enfin quelques acteurs consommés qui passent devant avec force excuses et sourires, en montrant le bébé fatigué ou le vieillard cacochyme, alibi jugé infaillible pour obtenir son passe-droit dans la file. Je soupçonne nombre d’entre eux d’emprunter l’alibi à des personnes compatissantes, le temps d’effectuer leur achat.

Table ouverte

Au Vietnam, on mange ensemble. En France, on mange avec… Premier signe de convivialité de la table vietnamienne: sa rondeur. Ici, tout le monde est à égalité devant l’assiette, ou plutôt le bol. Pas de place de préséance en bout de table! Chacun est à égale distance du centre et à égal accès au contenu des plats. Le "passe-moi le sel" ou "fait passer à ton voisin" n’a pas cours. Il suffit de faire tourner le plateau central pour que le mets convoité vienne à soi.

Autre preuve de partage: la façon de se servir. Dans la tablée occidentale, chacun remplit ou fait remplir son assiette à concurrence de son appétit. Puis, on se saisit de sa fourchette et de son couteau, disposé de part et d’autre, et on "attaque". L’image est saisissante: chacun se bat avec son steak, taille, coupe, pique, enfourne. On reste sur ses gardes, défendant son territoire, prêt à repousser quiconque se hasarderait à venir puiser dans sa gamelle.

La disposition de la table, même, ressemble à une opération militaire. On dresse une muraille de verres devant l’assiette. On dispose les couverts de part et d’autre, alignés comme à la parade. Chacun se crée une mini-forteresse. Comme si l’on se préparait à un combat.

Au Vietnam, le repas est à la communion. Chacun pioche dans le plat de service, juste ce qui lui est nécessaire pour ce qu’il va porter en bouche. Mais avant de manger, on pense à son voisin, en mettant dans son bol un peu de nourriture. Les baguettes même, loin de représenter une arme tranchante ou piquante, évoluent en une chorégraphie agile,  se posent délicatement sur le bol entre deux bouchées. Ici, on sait ce que veut dire "table ouverte".


Gérard Bonnafont/CVN

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