À l’école Givaudan, les grands «nez» de la planète ont plus que du flair

L’Air du Temps, Opium... Comme ces deux grands «classiques», un tiers des parfums créés dans le monde portent l’empreinte des élèves de l’école Givaudan, pépinière de talents basée près de Paris qui forme depuis 1946 des générations d’illustres «nez».

Des boîtes de parfum exposées dans le musée du parfum Fragonard à Paris.
Photo: AFP/VNA/CVN

«C’est dans ce bureau qu’a été créé Opium, ici c’est Poison, là Loulou et beaucoup d’autres encore», chuchote avec fierté et gourmandise Jean Guichard, son directeur, en approchant de la salle de travail des élèves. Lui-même a créé Loulou («de la vanille et un côté poudré, des fleurs d’hibiscus inspirées des tableaux de Gauguin») et Eden de Cacharel.

Le silence règne. L’air est frais, la lumière douce. De grands flacons (factices) trônent sur des étagères comme un hommage aux anciens élèves de l’école : Jean-Claude Ellena (Hermès), Thierry Wasseur (Guerlain), Jacques Polge (Chanel)...

Dans cette salle du «bâtiment vanille», situé non loin de la gare d’Argenteuil, ils sont cinq ce jeudi de juin - deux Brésiliens, une Japonaise, une Marocaine et un Français - à plancher sur leurs «touches» (languettes de papier buvard imprégnées de substances odorantes), armés de carnets de notes.

Leandro, 26 ans, s’intéresse au «muguet», fleur dont on ne peut extraire l’essence et dont l’odeur est reconstituée à base de matières naturelles et synthétiques. «Je découvre les multiples facettes de la matière. C’est passionnant», commente-t-il tandis que Nisrine, 27 ans, chimiste de formation, explique la «chromatographie», l’analyse par molécules d’un parfum.

Traduire son époque

Ils ont été sélectionnés en fonction de leur parcours (scientifique ou littéraire) et de leur personnalité mais surtout de «leur capacité à comprendre leur époque», explique M. Guichard, qui reçoit «200 à 250 dossiers chaque année» et n’en retient que «trois en moyenne».

Les visiteurs examinent l’odeur du parfum dans le musée du parfum Fragonard à Paris.
Photo: AFP/VNA/CVN

Ils inventeront peut-être les Rive Gauche, Coco Mademoiselle, Terre d’Hermès ou Angel du futur, devenant à leur tour de grands parfumeurs. Et «un grand parfumeur ne se résume pas à son nez. Il invente, comme un grand musicien, un grand cinéaste, un grand peintre. Il traduit les idées de son époque tout en faisant des choses qu’il aime», ajoute le directeur, en avançant à pas feutrés vers le laboratoire.

Partout des flacons aux étiquettes mystérieuses renferment de simples ou complexes mélanges issus des 1.300 matières premières sélectionnées par Givaudan. Les élèves doivent acquérir «une parfaite connaissance de 500 d’entre elles comme de l’alphabet» avant d’apprendre les «accords» (mélanges de matières premières), l’équivalent des mots et les «familles olfactives (citrus, floral, boisé, chypre, fougère, oriental) qui correspondent aux phrases». Cette méthode, mise au point par le fondateur de l’école, Jean Carle, a fait ses preuves.

Car, ajoute M. Guichard, qu’il s’agisse de haute parfumerie ou de savons, détergents ou lessives, un bon «nez» doit «d’abord acquérir une technique».

C’est un apprentissage académique indispensable, même s’il leur faudra l’oublier pour pouvoir inventer.

Officiellement il n’y a pas de limite d’âge et aucun diplôme n’est requis pour entrer à l’école Givaudan. En pratique, la plupart des élèves sont âgés de 25 à 30 ans et titulaire d’un bac + 4 ou + 5. Le cursus dure trois ans à l’issue desquels un poste leur est garanti au sein de la société Givaudan (8.500 salariés dans le monde), leader mondial de création de parfums avec laquelle il signe un contrat d’exclusivité de cinq ans. Ils travailleront dans ses bureaux de création à Paris, New York, Sao Paulo, Shanghai, Singapour ou Dubaï.

AFP/VNA/CVN

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