>>Coup de main ou coup de jus ?
Des dunes de sable de Mui Né dans la province de Binh Thuân (Centre). |
Photo : CTV/CVN |
Je me souviens de cette famille qui avait fait le long voyage de France au Vietnam. La maman nourrissait un rêve depuis de longues années : faire découvrir à ses quatre enfants le pays de leur grand-mère. Sans doute, ceux-là n’avaient-ils pas profondément envie de quitter durant quelques semaines leurs copains et leurs terrains de jeux pour se retrouver à l’autre bout du monde.
Mais la force de conviction maternelle, l’appui paternel et l’amour filial ont donné corps au projet. Et voilà comment trois garçons et une fillette se retrouvent au pays du Sud lointain, en direction de Mui Né, province de Binh Thuân (partie Sud du Centre).
Sourires émerveillés, regards énamourés
Après une route sans histoire, émaillée de cris d’étonnements devant les motos surchargées, le code de la route optionnel et individuel, les bœufs qui traversent en dehors des passages cloutés, le grouillement et l’animation de la Route mandarine, nous arrivons à notre hôtel. Les enfants retrouvent enfin leurs marques : plage et boissons glacées. Après le dépaysement des premières heures, le «repaysement» dans un environnement où la proportion est de dix touristes pour un Vietnamien.
C’est le soir qu’ils découvrent ce qui fera à la fois leur bonheur et leur malheur : les Vietnamiens adorent les enfants. Et ils les adorent encore plus quand ils ont la peau blanche, même si elle est déjà rougie par ce fameux soleil du Sud. Impossible de faire vingt pas sans être arrêté par une dame qui vous palpe, vous caresse les cheveux, vous tripote les joues, vous tâte l’épaule, et s’extasie devant la beauté de votre épiderme.
La première fois, ça surprend, mais ça fait plaisir à tout le monde : la maman fière de l’intérêt que procure son rejeton, le papa fier que son fils lui ressemble, le petit content qu’une gentille dame fasse attention à lui. Mais, à la dixième charmante dame qui vous palpe, vous caresse, vous tripote, etc., le plaisir devient agacement. C’est vrai quoi, on n’est pas un bestiau de foire ! Enfin ça, c’est quand on a 5 ans, parce que pour le grand de 14 ans, c’est toutes les heures dimanche. Pas une seule jeune fille qui ne le croise sans lancer un joyeux «dep trai» (beau jeune homme).
Surprise d’une soirée en maison Ê dê. |
Il faut dire que peau claire, yeux bleus et, déjà, 1m80, ça impressionne les cœurs à prendre. Sûr que les copains ne le croiront pas quand il racontera que plusieurs fois des filles se sont accrochées à son bras pour se faire prendre en photo avec lui. Ou bien qu’une fois, dans un restaurant au bord de la route, il y avait cinq beautés autour de lui pour le regarder manger, en faisant des commentaires, que moi seul comprenant le vietnamien, je me suis abstenu de traduire pour éviter qu’il ne fasse une fausse route en avalant. Heureusement que son père et moi d’un commun accord contenons son ego en lui expliquant qu’il ne doit surtout pas y voir autre chose qu’une simple politesse.
De surprise en surprise
De sourires en compliments, de palpation en tripotage, nous voici au lac Lak (province de Dak Lak, dans les hauts plateaux du Centre). Et toujours la surprise au détour du chemin. Pour commencer, nous sommes accueillis par un concert de cigales qui se déclenche au moment le plus palpitant d’une partie de tarot sous l’ombre d’un grand banian.
Alors que le preneur se trouve en mauvaise position après s’être fait prendre le «petit» (pour les néophytes, se reporter à la règle officielle du jeu de tarot…), les oreilles sont déchirées par un bruit strident, entre sirène d’alarme et crissement de pneu. Les enfants s’entreregardent. Est-ce la fin du monde, le signal de fin de sieste, un avion qui va atterrir ? Je leur montre les branches de l’arbre dans lequel des centaines de cigales ont estimé que la chaleur est à bonne température pour effectuer les travaux d’approche qui permettront à l’espèce de ne pas s’éteindre cette année.
Fatalistes, mes jeunes compagnons de voyage acceptent que les insectes du Vietnam soient aussi bruyants que leurs compatriotes bipèdes en ville. Je me demande ce qui peut encore les surprendre. Certes, coucher dans une maison de l’ethnie Ê dê à laquelle on accède en escaladant une échelle qui comporte des seins maternels pour s’accrocher, leur concède un sourire. Certes, se retrouver à huit dans une maison de 20 m de long sous une moustiquaire dont on espère qu’elle empêchera les milliers d’insectes nocturnes de se repaître de notre sang, vaut bien de s’endormir avec une délicieuse angoisse au fond de soi-même.
Des touristes font des achats dans le district de Bac Hà (province de Lào Cai, Nord-Ouest). |
Sans doute, se retrouver sur le dos d’un éléphant, qui avance d’un pas paisible dans le lac jusqu’à ce que l’eau frôle nos pieds, peut encore faire surgir quelques cris de joie craintive. C’était oublier le summum, ce que même en rêve aucun d’eux n’aurait pu imaginer. À Buôn Ma Thuôt (province de Dak Lak), mon épouse et moi-même avons proposé aux parents de nous confier les enfants pendant qu’eux-mêmes se promènent en amoureux. Il fait chaud, très chaud. L’orage menace, mais il est encore lointain. Nous décidons d’aller à la recherche d’une piscine, plaisir partagé par tous les enfants du monde.
De questions en renseignements, nous arrivons devant un parc d’attraction aquatique. Billets achetés, nous pénétrons dans le parc, et là les enfants écarquillent les yeux : d’autres enfants, point. Ils sont seuls, quatre frères et sœur face à trois bassins d’eaux, cinq toboggans, une rivière à remous et dix maîtres-nageurs. Pendant deux heures, ils ont vécu dans un monde qui n’existait que dans leurs livres, et même si je leur ai expliqué que le parc était vide à cause de l’orage menaçant, ils n’en revenaient pas. Plus tard, quand je leur demanderai ce qu'ils ont le plus aimé au Vietnam, ils me répondront : «Le parc d’attraction pour nous seuls !».
Et dire que les guides touristiques s’évertuent à construire des pro-grammes culturels et historiques.
Gérard Bonnafont/CVN