À Buenos Aires, les derniers feux du marché au bétail de Liniers

C'est une page de l'histoire argentine qui va bientôt se tourner : le marché de Liniers à Buenos Aires, où se déroulent depuis plus d'un siècle les ventes aux enchères de bétail, va quitter la capitale d'ici la fin de l'année.

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Des gauchos surveillent les enclos à bétail au marché Liniers de Buenos Aires, le 16 juillet en Argentine.
Photo : AFP/VNA/CVN

"Mon grand-père Carlos amenait les vaches depuis le rond-point de La Tablada" pour un trajet d'une vingtaine de kilomètres jusqu'au marché, se souvient Ezequiel Martinez, 27 ans. "Je vais beaucoup pleurer car j'y ai tellement de souvenirs", confie le jeune homme.
Il a commencé à travailler avec son père au marché de Liniers quand il avait 12 ans. Il représente la quatrième génération de la famille à faire ce métier de gardien de bétail entré dans la légende de l'histoire argentine.
Le marché a été inauguré en 1889 dans ce qui n'était encore que la campagne des environs de Buenos Aires.
Mais la capitale, qui compte désormais 3 millions d'habitants intramuros (14 millions pour l'agglomération), s'est fortement étendue.
Les 33 ha du marché sont désormais enclavés en plein milieu du quartier de Mataderos, dans le sud de la capitale.
Cette présence rurale en pleine ville provoque des problèmes environnementaux, notamment la pollution des cours d'eau avec les matières fécales des animaux.
Sans parler des problèmes de circulation en raison du trafic incessant des camions qui transportent le bétail.
Le déménagement pour de nouvelles installations modernes à Cañuelas, à 60 km de Buenos Aires, déjà reporté plusieurs fois, doit se faire d'ici la fin de l'année. Et n'est pas sans créer de l'incertitude chez les travailleurs, très attachés à la tradition.
"Les contremaîtres les plus âgés ont commencé à l'âge de huit ou neuf ans et ne pensaient jamais devoir partir. Même quand ils sont retraités, ils continuent à faire quelque chose ici", raconte Ezequiel Martinez.
Deuxième maison
Agustin Lalor, qui a appris lui aussi son travail avec son père, s'occupe des ventes aux enchères aux sociétés frigorifiques qui emmènent ensuite le bétail à l'abattoir.
Pendant la nuit, les gauchos, juchés sur leur cheval, bottes aux pieds et béret sur la tête, répartissent veaux, vaches et taureaux dans les différents enclos.

Vente aux enchères de bétail au marché de Liniers de Buenos Aires, le 1er juillet en Argentine.
Photo : AFP/VNA/CVN

À 08h00, la cloche sonne le début de la vente. Mégaphone en main, Agustin décrit les caractéristiques du bétail et les vend aux plus offrants. "C'est un endroit unique au monde", dit-il.
Les prix qui se négocient à Liniers servent ensuite de référence pour le cours de la viande dans le reste du pays et sont publiés dans la presse spécialisée.
Le marché fonctionne normalement de lundi à vendredi et quelque 20.000 têtes de bétail sont négociées chaque jour. Mais la pandémie de coronavirus a tout bousculé : il ne fonctionne désormais que trois jours par semaine et les ventes ont diminué de moitié.
Le marché et l'abattoir qui lui a longtemps été accolé ont marqué la vie du quartier de Mataderos (Abattoirs) où s'alignent frigos, boucheries et charcuteries. Le départ du marché va sonner l'heure d'une reconversion encore incertaine.
"Il va falloir trouver de nouvelles activités pour la zone afin d'éviter qu'elle ne tombe en déshérence", explique Silvia Fajre, spécialiste en patrimoine urbain.
Même si elle considère le marché de Liniers comme "absolument anachronique" et peu efficient en termes économiques, elle propose de sauver sa valeur historique avec la conservation des bâtiments emblématiques.
"On peut imaginer que cela devienne un pôle touristique de la ville, en faire un musée. Il faut créer des emplois" dans un quartier où, souligne-t-elle, les habitants sont peu qualifiés.
Depuis trente ans, aux abords du marché, non loin de la statue du Resero (le gardien de troupeau) se tenait un marché de l'artisanat et des traditions populaires. Là aussi, la pandémie a tout suspendu...
Cristian Nahuel Agrei, 21 ans, travaille depuis quatre ans comme journalier au marché de Liniers, un lieu où il se sent chez lui.
"
À Cañuelas, ce ne sera pas pareil. On ne va pas pouvoir rester sur place. Ici, c'est ma deuxième maison, j'y ai ma chambre, mon lit, mes affaires", dit-il, déjà nostalgique.

AFP/VNA/CVN

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