>>Dialogue de politiques d'égalité des sexes
Une affiche du collectif "Place aux femmes" dans un bar d'Aubervilliers, le 23 février. |
Monique, Horia, Judit, Telma, Linda... Ce mardi soir 23 février, elles sont une quinzaine attablées au "Pile ou face". Derrière leur verre, un combat : conquérir une place dans les cafés de cette commune populaire de Seine-Saint-Denis, où elles se sentent souvent "intruses".
"Tout est parti d'un cri. Je me suis dit +il y en a marre+ de ne jamais voir de femmes dans les cafés de notre ville, alors j'ai envoyé par mail un appel à quelques amies", raconte Monique, prof d'allemand à la retraite.
Au printemps 2011, une douzaine d'entre elles se retrouvent devant le "Roi du café". Pour cette première, le public, traditionnellement masculin, est réticent : "on a dû prendre les chaises une à une mais sans se battre, car on ne se bat pas contre les hommes, on les aime bien !", s'amuse Monique.
Cinq ans plus tard, leur mailing-list compte 200 noms, et ce collectif de femmes aux origines "d'une diversité totale" se réunit un mardi sur deux dans un bar de ce fief communiste.
Objectif : inspirer les autres femmes en luttant contre l'"auto-censure". "Avant, je n'osais pas", raconte Horia, qui travaille en médiathèque. "Grâce au collectif, j'ai davantage confiance : je peux désormais dire à une copine +on se retrouve dans un café+, ce que j'avais toujours rêvé de faire."
Pour la rousse Judit, la cinquantaine, travailleuse associative, "c'est peut-être du féminisme, de fait, mais la démarche est avant tout festive. On ne cherche pas à savoir pourquoi il y a très peu de femmes dans l'espace public. On veut qu'il y en ait plus, point". "Pour nous, des femmes dans un café de banlieue, ça devrait être naturel", résume-t-elle.
Or, aux yeux de Linda, 60 ans, originaire de Tunisie, "il y a un retour en arrière chez les jeunes".
Cafés labellisés
"Les femmes intègrent très tôt les dangers de l'espace public et adaptent leur comportement", souligne Nadine Cattan, chercheuse en géographie du genre au CNRS.
"Mais c'est vrai qu'elles sont encore plus sous-représentées dans les villes et quartiers populaires, pour des raisons multiples : niveau socio-économique, diversité culturelle, un certain passéisme des hommes". "Mais le machisme ambiant existe partout, pas seulement en banlieue", ajoute la chercheuse.
Au "Pile ou face", il n'a pas droit de cité. Madjid Aïteur, le patron, arbore sur sa vitrine le label "Ici, les femmes se sentent bien", décerné par le collectif à huit établissements de la ville - sur 30 testés. "Il y en a marre de voir toujours les mêmes têtes, que des hommes. Ici, il n'y a pas d'espace pour elles, alors qu'on voit plein de femmes sur les terrasses à Paris", regrette-t-il.
Côté comptoir, les hommes posent sur cette rare présence féminine un regard contrasté. "Quand il n'y a que des hommes, ça finit toujours en bagarre! Avec elles, ça fait baisser la température", apprécie Abdullah, Franco-Turc habitant à Aubervilliers depuis 25 ans. Saïd, chauffeur Uber, pense au contraire que "les femmes n'ont rien à faire dans un café. Ou alors le midi".
Le "mélange des genres" n'est, quoi qu'il en soit, pas encore de mise. Monique l'assure, en regardant les hommes massés à l'autre bout de la salle : "Prochaine étape, on s'attaque au comptoir !".
Pour l'instant, le collectif s'attelle à l'organisation de la journée internationale des femmes du 8 mars. L'année dernière, ses membres ont obtenu que le carrefour devant le "Roi du café", devenu leur camp de base, soit baptisé "Place des femmes". Pour cette édition, elles préparent une chaîne humaine entre ladite place et la mairie.
Preuve que leur combat n'est pas isolé en banlieue : la mairie de Saint-Denis a placé cette année le 8 mars sous le signe de "la place des femmes dans l'espace public". L'affiche de l'évènement montre une femme attablée... à une terrasse de café.