Le marché de l’art cherche sa voie

Au Vietnam, le marché de la peinture a connu un rapide essor au début des années 1990. Mais personne dans les milieux artistiques ne pensait alors qu’il pourrait exister un véritable marché de l’art et, aujourd’hui encore, les clients sont plutôt rares.

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Un tableau de Bùi Xuân Phai.

Le Vietnam compte des milliers de peintres, ainsi que de nombreux musées, galeries, spécialistes, collectionneurs et... amateurs d’art. Le secteur des arts possède les conditions essentielles d’un développement, et pourtant, le marché n’évolue guère.

Pourquoi les prix des œuvres contemporaines dans le monde augmentent ? Parce qu’il y a des amateurs, plus ou moins fortunés, qui participent à des ventes aux enchères de renommée mondiale. De telle enchères sont fréquemment organisées dans de grandes villes, par des prestataires spécialisés tout aussi célèbres comme Christie’s ou Sotheby’s. Singapour est un exemple : en quelques années, il est devenu un haut-lieu du marché de l’art de l’Asie du Sud-Est et, plus généralement, de l’Asie. La Biennale de Singapour, lancée en 2006, a rapidement acquis une réputation propre à susciter la visite de plusieurs millions de personnes. Et le Musée d’art de Singapour est un acteur important du marché de l’art local, même s’il n’a que 20 ans.

Le Vietnam ne manque pas de grands noms dans la peinture comme Bùi Xuân Phai, Lê Phô, Lê Kinh Tài, dont des œuvres ont été vendues par de grands commissaires-priseurs, Sotheby’s notamment, et dont les noms sont cités de temps à autre par des médias étrangers. Mais pas au Vietnam.

On a tendance à acheter des copies

Depuis 1996, plusieurs collectionneurs et galeries étrangers se tournent vers le Vietnam. De nombreux artistes locaux ont commencé à se faire connaître à l’étranger comme Dang Xuân Hoà, Nguyên Thanh Binh, Nguyên Trung, Dô Quang Em, Trân Luu Hâu ou Lê Kinh Tài... Ils ont vendu des œuvres à l’étranger par les voies usuelles, notamment des galeries d’art des États-Unis, de Singapour et de Hong Kong (Chine). «Les artistes travaillent par passion et besoin de créer, mais ils ne vivent pas d’amour et d’eau fraîche. De riches Vietnamiens achètent des maisons luxueuses, des avions ou des bateaux de plusieurs millions de dollars, mais +hésitent+ devant un tableau d’un millier de dollars», explique le peintre Lê Kinh Tài.

Une œuvre de Lê Kinh Tài.

Selon le peintre Nguyên Quân, la majorité des Vietnamiens achètent principalement des tableaux dépourvus de réelle valeur artistique, au prix modique, dans un but purement décoratif. C’est une des raisons du si faible développement du marché de l’art au Vietnam.

Peu de personnes sont prêtes à consacrer plusieurs milliers de dollars à une œuvre d’art authentique, tandis qu’ils ne sont pas réticents à faire de même pour un tableau de gemmes, censé propice suivant le feng-shui. Par ailleurs, les gens ont tendance à acheter des copies, de seulement quelques dizaines de dollars...

Pour stimuler le marché vietnamien de l’art, des œuvres de valeur doivent être proposées. Les artistes ne peuvent eux-mêmes promouvoir suffisamment leur travail, ils doivent être soutenus en cela par des professionnels, agents et autres mandataires, sociétés de commissaires-priseurs, conservateurs de musée et critiques d’art, afin de faire connaître leurs œuvres auprès du plus large public possible, d’après Nguyên Quân.

Par ailleurs, le Vietnam manque encore d’experts en mesure d’estimer la valeur des œuvres afin que leurs auteurs puissent fixer un prix. Aujourd’hui, les prix sont non seulement très variables, mais aussi peu justifiés, dans un sens comme dans l’autre : trop faibles ou trop élevés...

«La peinture n’est pas considérée comme une activité professionnelle par les gens, alors que c’est le bien cas, et elle a besoin d’être reconnu e en tant que telle. Même les galeries fonctionnent dans cet esprit. Ainsi, au lieu de rechercher les talents et de les faire connaître, elles se contentent d’artistes déjà plus ou moins reconnus dont les œuvres se vendent bien, comme s’il s’agissait de vulgaires produits...», explique le peintre Doàn Hoàng Lâm.

De bons signes à observer

Une exposition des beaux-arts organisée à Hanoï.

Cependant, le peintre Nguyên Quân est convaincu que le marché vietnamien aura son jour. «Chaque art a d’abord besoin de son marché, et je pense que le marché vietnamien de la peinture changera à un moment ou à un autre, lorsque le pays aura progressé dans son développement, avec des gens ayant plus de sensibilité artistique, tout en disposant de revenus plus importants», espère-t-il.

Ce n’est pas à dire qu’il n’y ait pas d’amoureux des arts, et infortunés, au Vietnam, de fait, eux aussi ont besoin de tels intermédiaires pour faire des découvertes... Et l’espoir de Nguyên Quân pourrait bien s’exaucer, puisque les choses commencent à bouger lentement. Ainsi, l’année dernière, la vente d’œuvres d’art a été autorisée et dotée d’un statut spécifique, évènement qui suscita l’attention puis la curiosité du public, en particulier avec les premières organisées à Hanoï par la Société par actions d’enchères Lac Viêt, qui ont vu un certain nombre d’œuvres partir à de bons prix.

De telles ventes ont aussi été organisées sur Internet, comme celles de tableaux vietnamiens à la mi-mai 2016, sur une initiative de Vietnam Art Space : un succès, à vrai dire, avec de nombreux artistes et amateurs d’art, et plus de 50 œuvres adjugées en seulement deux jours.

Et, au début de cette année, la 1re foire des arts du Vietnam, la Domino Art, a été organisée par RealArt à Hanoï et à Hô Chi Minh-Ville, avec la présentation de près de 300 œuvres exceptionnelles de plus de 160 artistes de l’ensemble du pays. Domino Art vise ni plus ni moins la sensibilisation aux arts au sens noble du terme. Selon le peintre Trinh Minh Tiên, pendant longtemps, le marché a été confronté à nombre de problèmes divers, du manque de rencontres entre les artistes et le public aux contrefaçons d’artistes connus qui entraînent de grandes confusions chez les amateurs comme chez les acheteurs d’art. «C’est dans cette perspective que notre équipe RealArt tente d’organiser des foires d’art pour entretenir ou regagner la confiance du public, c’est selon, et rapprocher les amateurs d’art».

Malgré ces difficultés, au mieux d’incommunicabilité, et au pire de faux, les premiers résultats de ces enchères témoignent de bons signes pour l’essor du marché national de l’art, si toutefois les autorités de toutes sortes veillent à lui donner de bonnes conditions...

Il est en effet nécessaire de construire un marché des arts professionnel et présentant toutes garanties pour ceux qui y évoluent. Il y a des besoins urgents, à commencer par la protection spécifique des œuvres d’art qui relèvent du statut générique du droit d’auteur alors qu’elles présentent des particularités évidentes sur le plan juridique, mais aussi une sensibilisation du plus grand nombre à l’esthétique, la promotion de l’originalité, outre l’élaboration d’une stratégie de développement du marché de l’art, sur le plan institutionnel par exemple, ou encore, de la communication... Ces missions n’incombent pas seulement à ses acteurs, mais aussi aux autorités, dans le cadre du processus de modernisation et d’intégration internationale du Vietnam, conclut Vi Kiên Thành, chef du Département des beaux-arts, de la photographie et de l’exposition du ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme.


Thuy Hà/CVN

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