>>Une semaine à la sauce hanoïenne
Un air de mystère flotte dans les ruelles de la capitale. |
Photo : CTV/CVN |
J’habite dans un de ces ngo, affluent d’une rue qui vient se jeter dans une artère. Il ne paye pas de mine, mon petit ngo. Inaccessible en voiture, tellement il est étroit, il ne se dévoile qu’après un parcours digne de Dédale. Ancien sentier qui courait entre les jardins de kumquats, il est devenu ruelle, par la grâce de l’engouement de ces arbustes pour la fête du Têt.
Au fur et à mesure de l’augmentation du chiffre d’affaire des arboriculteurs locaux, les jardins se sont transformés en maisons coquettes, renvoyant les vieilles masures au rang des souvenirs. Havre de tranquillité sans doute, mon ngo n’est cependant pas sans histoires…
Maison hantée
Il y a d’abord cette curieuse maison qui ressemble à un petit pavillon de banlieue parisienne. Alors qu’habituellement les terrains sont plutôt à la portion congrue, contraignant les propriétaires à empiler les étages les uns sur les autres, ici on a joué les grandes largeurs. La bâtisse s’étire langoureusement sur un terrain digne des meilleurs tournois de tennis, et s’offre le luxe d’un seul étage, tapi sous une toiture de tuiles grises. Fenêtres à croisillons et balconnets lui confèrent une allure cossue que renforcent une cour carrelée et un jardin arboré. Bref, de quoi me donner envie d’y installer mes pénates. Car, comme l’indique le panneau sur la grille d’entrée, cette habitation, loué soit le ciel, est à louer !
Et même à louer depuis plus d’une année, certainement avant que je n’emménage quelques mètres plus loin. Mais à l’époque je n’avais pas prêté attention à la disponibilité de la belle ! Mais dès que l’envie de la courtiser m’a pris, je me suis naturellement enquis de la raison pour laquelle elle avait si peu de prétendants. C’est mon épouse qui m’a donné la réponse : interdiction même d’imaginer qu’un jour nous puissions y habiter, une personne s’est pendue dans cette maison. De là, à penser que la maison est hantée, il n’y a qu’un pas que franchit allègrement la superstition du vietnamien pour les fantômes, les ma ! Ces mauvais esprits que sont les âmes errantes, avatars post-mortem des défunts dans des circonstances dramatiques ou loin de leur famille. Mon cartésianisme à tout crin ne peut que s’incliner devant l’hermétisme absolu de cette croyance persistante ! Un homme s’est pendu, cette maison est perdue. Je comprends pourquoi, à la nuit tombée, les passants accélèrent le pas devant la façade plongée dans la pénombre.
Mais il n’a pas que le fantôme d’un pendu qui hante ma ruelle !
Espionnage canin
Les chiens, domestiques ou errants, sont la hantise de mon voisin. Chaque matin je l’entends vitupérer contre ces maudits quadrupèdes qui s’oublient devant son portail, tandis qu’il nettoie à grande eau les souillures de la nuit. Voilà belle lurette que je dirige les pattes de ma chienne à l’opposé de sa maison, mais manifestement, d’autres n’ont pas cette précaution, et le climat est devenu tellement délétère que le meilleur ami de l’homme est devenu le pire ennemi d’un voisin excédé.
À tel point qu’il a décidé d’installer deux caméras devant son portail, pour identifier la cause de ses aigreurs matutinales. Pour cela il a largement communiqué aux alentours, en avisant chacun de ses co-habitants de rue, qu’il transformerait en viande pour ragoût, chaque chien figurant sur ses bandes vidéo, et qui aurait le malheur d’honorer à sa manière le perron ou la portion de rue devant sa maison. Je dois avouer que cela a jeté un froid dans les relations vicinales, alors qu’une maison sur deux abrite, au moins un représentant de l’espèce canine ! Depuis quelques jours, deux belles caméras blanches surplombent un pylône, yeux infatigables scrutant les mouvements des quadrupèdes et des bipèdes qui osent s’aventurer sur leur territoire. Seul défaut, elles ne sont pas mobiles. L’auraient-elle été, qu’elles m’aurait permis d’identifier les petits malins qui ont cru bon de me jouer un sale tour, l’autre nuit.
On s’y colle
Un marché local dans une ruelle à Hanoï. |
Photo : Internet |
Tous les jours, à 06h00 du matin, mon épouse pratique une activité commune à toutes les ménagères vietnamiennes : aller au marché. Activité sociale par excellence, puisqu’elle permet de rencontrer d’autres ménagères autour d’un pho matinal, avant d’aller remplir de concert les paniers à provisions. Et naturellement, tous les matins à 06h00, mon épouse ouvre le cadenas qui clôt notre grille pour la nuit. Opération banale, qui ne mériterait pas une seule ligne dans cette chronique, si ce n’est que ce matin là, mon épouse se heurte à un obstacle de taille, petite taille certes, mais grands effets ! Le barillet destiné à recevoir la clef est obturé par un bouchon de colle !
Je dois avouer que depuis 12 ans que j’habite au Vietnam, je n’avais jamais envisagé cette éventualité, et je mesure maintenant la fragilité de ce système de fermeture propre à la maison vietnamienne ! Il suffit de quelques grammes de colle pour transformer une demeure, soit en prison (ce qui est mon cas), soit en forteresse inviolable, si l’on se trouve à l’extérieur. Heureusement, hormis un voisin acariâtre et anti-canin, j’ai aussi un voisin bricoleur qui possède une malle à outils à faire pâlir d’envie un professionnel.
Et justement 06h00 du matin, c’est aussi l’heure où il entretient sa forme par une gymnastique matinale devant sa porte. Nous voyant nous agiter derrière la nôtre, il vient s’enquérir du problème, qu’il résout illico en deux coups de chalumeau. Délivré, cadenas inutilisable, et peu désireux de me promener avec un chalumeau dans ma poche, je décide d’acheter un cadenas à code : pas de barillet, pas de trou pour la colle, ou en tout cas, plus de difficulté à saboter. Du moins c’est ce que m’a assuré le vendeur ! Ah ! J’oubliais ! Ce jour là nous avons été plusieurs à servir de cibles à ou aux encolleurs. Certains parlent même d’organiser des veilles de nuit…
Caméras anti-chiens, milice anti-encolleurs, maison hantée… quand je vous le dis que même une petite ruelle anonyme est riche d’histoires !