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Les Cham fêtent le Têt Ramuwan 2018. |
Photo: Nguyên Thanh/VNA/CVN |
J’avais visité Phan Rang pour la première fois au temps lointain de la colonisation française, quand j’étais étudiant. Située à 1.387 km au sud de Hanoï et à 338 km au nord de Hô Chi Minh-Ville, elle est le chef-lieu de la province de Ninh Thuân (Centre) qui rassemble la moitié de la population Cham du Vietnam.
Mes retrouvailles avec Phan Rang (Panrang en Cham) et Ninh Thuân, partie essentielle de l’ancienne principauté Cham Panduranga, dernier Royaume Cham, me font ressentir les impressions de la première rencontre.
Soleil, chaleur, sécheresse, sable et rochers. Soleil aveuglant. Chaleur caniculaire, les plus fortes chaleurs du pays, la température moyenne étant de 29-33°C. Sécheresse, 60 jours de pluie par an. Sable brûlant, pas seulement celui des dunes éblouissantes; à la campagne, la terre est sableuse. Le moindre souffle soulève des nuages de poussière. Est-ce là la raison pour laquelle le taux de trachomateux ici était le plus élevé de l’Indochine française? Rochers: en plus d’un endroit, la longue cordillère jouxte la mer, présentant au bord de la Nationale N°1 des amas de rochers géants, parfois des dolmens, des menhirs et des lingas naturels. Le spectacle est fantastique, par exemple à la plage Cà Ná, au coucher du soleil.
Bàu Trúc, un village unique
Le village Paley Hamu Trok (aujourd’hui Bàu Trúc) que je revois m’intrigue dès le premier regard: il a rompu avec un tabou en étalant quelques arbres au feuillage vert! On évitait de planter des arbres de peur que le hibou, perché sur leurs branches, n’attire la mort par son hululement.
Aujourd’hui, seulement le dixième de la population du Paley ose abandonner cette coutume. Beaucoup de maisons ont fait peau neuve: les briques, les tuiles et le ciment ont remplacé le torchis et l’herbe de paillote. Cependant, la disposition des maisons au sein de l’espace rectangulaire réservé à chaque grande famille matriarcale obéit toujours à la coutume.
Autour du Mudin (Point de Feu à l’intersection des diagonales), sont réparties les constructions: le Thang Yo, d’importance primordiale, est la maison réservée au couple de la première fille; celle-ci laissera la résidence au couple de sa petite sœur pour aller habiter une autre maison appelée Muyâu; et ainsi de suite. C’est la fille cadette qui deviendra le chef de famille après la mort ou la retraite de l’aïeule. Il y a encore une maison pour les frères (les hommes jouent un rôle effacé, même les gendres qui doivent habiter chez leurs femmes), une autre pour les hôtes, une cuisine, un puits, un coin pour le potager.
Bàu Trúc reste fameux comme foyer de l’ancienne poterie Cham qui se distingue par l’absence du tour de potier; les femmes marchent autour d’une masse d’argile pour la façonner.
Les produits céramiques de Bàu Truc sont très variés. |
Photo : Nguyên Thành/VNA/CVN |
Céramique et tissage de la soie font la fierté de l’artisanat Cham. La culture du riz avec deux récoltes par an se développait grâce à un système hydraulique plus perfectionné que celui des Vietnamiens de l’époque, celui du delta du fleuve Rouge. Une variété de riz Cham récoltée au bout de trois mois avait été adoptée par les Vietnamiens sous le nom de lúa chiêm (riz Cham). Le cocotier et l’aréquier, qui servaient de nom totémique à deux clans majeurs, constituaient aussi deux ressources importantes. Mentionnons encore comme richesse l’or des mines, le santal, le poivre, les marais salants, la pêche en mer. Depuis une décennie, c’est la culture du raisin et l’élevage des crevettes.
Influence historique de l’hindouisme
Les Cham appartiennent à la famille linguistique malayo-polynésienne. Leur ancêtre mythique est la déesse Po Nagar adorée actuellement dans un temple à Nha Trang (province centrale de Khánh Hoà).
Dès les Ier-IIe siècles, ils se sont libérés du joug chinois pour fonder un État indépendant, le Lin Yi (Lâm Ap, appelé Champa au IXe siècle), alors que le Vietnam restait dominé jusqu’au Xe siècle. Il a fini par s’éclipser faute d’un pouvoir central fort (territoire morcelé géographiquement par des montagnes transversales, guerres entre clans rivaux, absence d’une philosophie politique au service d’une monarchie centralisée comme le confucianisme l’était pour le Vietnam).
Le Champa a subi fortement l’influence hindoue. Il a adopté comme écriture le sanscrit et a créé une écriture basée sur le sanscrit. Il a hérité d’un riche folklore, littérature orale, musique et danse.
En dehors de l’animisme autochtone, les Cham pratiquent le brahmanisme et l’islamisme, sans parler du bouddhisme pendant une certaine période à partir du VIIe siècle.
Au cours d’une conversation, le chercheur Cham Sakaya (Van Môn) m’a longuement parlé du syncrétisme religieux Cham basé sur les croyances animistes autochtones, d’où un brahmanisme chamisé (Ahier-Cham) et un islamisme chamisé (Awal-Cham, Bani) dont les rites se mélangent. Il a aussi insisté sur le caractère dualiste de la pensée Cham qui rejoint ainsi la pensée d’autres peuples du Sud-Est asiatique.
L’architecture Cham, d’une grande originalité, est représentée par des temples de forme quadrangulaire. Tours terminées par une tourelle conique, elles sont faites en briques cuites accolées les unes aux autres par une matière liante mystérieuse. Les murs sont décorés à l’intérieur et à l’extérieur de sculptures vivantes, souvent en grès.
J’ai visité, entre autres, le temple consacré au roi Po Klong-Garai ou Chê Mân (XIIIe siècle) qui aurait épousé la princesse vietnamienne Huyên Trân. Sur le fronton du sanctuaire est la statue de Çiva dansant pour faire crouler l’univers. À l’intérieur, ce dieu destructeur, sous forme de linga, reconstruit l’univers. Le pèlerinage du sanctuaire est une occasion pour méditer sur l’évolution perpétuelle.
(Décembre 2002)