Un village où l’on aime taquiner la muse

Au village de Chùa (appelé aussi Hoàng Duong), en banlieue de Hanoï, la poésie coule dans les veines des paysans. On compose des vers, récite des poèmes… n’importe quand et n’importe où. Une tradition ancestrale qui fait la fierté de ces habitants amateurs de jolis mots et de rimes.

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À l'entrée du village de Chùa ou Hoàng Duong, en banlieue de Hanoï.
Photo : CTV/CVN

Situé sur la rive de la rivière Dáy, en banlieue de Hanoï, le village de Chùa dégage une atmosphère tranquille et romantique. Une petite campagne rizicole au sein du delta du fleuve Rouge, où vivent quelque 300 familles paysannes totalisant plus de 1.300 âmes. Dès l’entrée, l’ancienne porte du village porte une inscription qui intrigue les visiteurs : Vong Tu nhâp xuât (littéralement : Contemplez les lettres en entrant dans le village). Le mystère reste entier...

"Pour nous, la poésie est quelque chose d’indispensable au quotidien. C’est vraiment une nourriture intellectuelle importante, comme le riz, l’eau, l’oxygène…", confie Lê Xuân Sung, un paysan. Avant d’ajouter que depuis toujours, les villageois, toutes générations confondues, composent des vers. La création se fait spontanément, sur des sujets divers comme des faits se produisant dans le village. Les enfants créent quand ils vont à l’école, les paysannes quand elles récoltent du riz dans les champs… D’ordinaire, les vers des villageois sont sans artifice, exprimant leurs   pensées et souhaits.

"C’est une tradition ancestrale qui fait notre fierté. Grâce à cela, notre village a hérité d’un beau surnom : le village de poètes", explique Sung.

Âme du sol, parfum des fleurs

Le poète Nguyên Quang Thiêu (droite) accueille son confrère colombien Fernando Randon.

Lê Xuân Sung, 75 ans, est l’un des membres pionniers du Club de poésie de Chùa. Le long du chemin qui rejoint sa maison nichée au bout du village, on est surpris par les panneaux sur lesquels sont écrits des vers. Sung accueille les visiteurs avec un grand sourire. Évidemment, son cadeau de bienvenue s’écoute et se récite :

"D’une beauté naturelle, la poésie de chez nous fascine le cœur des gens
Les vers simples sont issus de l’âme du sol, du parfum des fleurs
Et de l’odeur des fruits de la terre…"
.

Il ajoute, avec un brin d’orgueil : "Grâce aux vers créés tous les jours, les villageois ont une vie plus épanouie".

Selon le septuagénaire, cette tradition du village de Chùa remonte à 1930, l’année où le Club de poésie des paysans a été fondé. Un concours était organisé annuellement à l’approche du Têt. L’occasion pour ces paysans-poètes de rivaliser de talent dans diverses épreuves : déclamer une nouvelle création, improviser et interpréter des poèmes, jouer aux devinettes en vers… Les sujets abordaient toutes les facettes de la vie quotidienne.

Puis, après une longue trêve à cause de la guerre, le Club de poésie est réapparu au début des années 1980, avec une dizaine de membres. Aujourd’hui, l’effectif augmente d’une année sur l’autre et comprend à présent une soixantaine de poètes autodidactes.

Pour Ngô Manh Cuong, 63 ans, président du Club, de nombreux artistes de renommée nationale comme Nguyên Quang Thiêu, Lê Trung Tiêt, Pham Tiên Duât… sont issus de ce village considéré comme le berceau des poètes autodidactes. En tant que vice-président de l’Association des écrivains du Vietnam, l’écrivain-poète Nguyên Quang Thiêu revient régulièrement dans son village natal pour assister aux activités du Club. L’occasion pour les poètes de présenter leurs nouvelles créations, de s’entretenir sur la valeur des œuvres… "Il s’agit des confidences en vers exprimées par les poètes paysans. Des louanges sur les beautés de la vie ou des critiques à l’encontre de phénomènes négatifs…, tous sont exprimés simplement. Chez nous, les vers sont une nourriture intellectuelle", explique M. Cuong.

Comme toujours, les meilleures créations sont choisies pour être présentées au public, lors des émissions du soir diffusées sur la radio du village.

De grands sages à l’âme poétique

Un écriteau frappé d’un slogan poétique dans une rue du village.

À 88 ans, Nguyên Gia Tê respire encore la santé. Impossible de recenser tous les poèmes qu’il a créés car il continue d’en composer aujourd’hui encore.

Face aux visiteurs curieux, l’octogénaire ne cache pas son amour infini pour la poésie. Puis, il se met à réciter doucement : "Assis en aval du fleuveJe repêche d’anciens vers flottant à vau-l’eau…".

M. Tê se souvient de l’époque où le pays était en guerre. "Les vers scandés par les villageois de Chùa avaient grandement incité la population locale à rejoindre le mouvement patriotique, contribuant en partie à la victoire de la résistance nationale", affirme-t-il.

L’octogénaire Nguyên Thanh Quang et son épouse Cao Thi Xem sont eux aussi membres du Club de poésie. Dans la cour de leur maison, les deux s’affairent à tresser des paniers, un métier artisanal du village. Enthousiaste, Quang dévoile que ce sont des vers improvisés qui ont fait naître leur amour et contribué à leur bonheur conjugal. La joie se lit sur son visage. Il semble que cet homme à l’âme poétique voit vraiment la vie en rose.

"Chez les villageois de Chùa, la poésie ne produit pas d’épis de riz dorés ni de grains blancs.
Mais la poésie de chez-nous est en mesure d’apporter aux cultivateurs des rêves dorés"
.

La beauté de ces vers en dit long sur la passion sans limites des paysans pour la poésie. À l’occasion de la Fête printanière de la poésie du village de Chùa, nombre de visiteurs Vietnamiens et étrangers affluent et se délectent de cette ambiance joyeuse et de la beauté sans artifice de la vie paysanne.

Nghia Dàn/CVN 

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