Un poème en nôm de Dào Duy Tu au XVIIe siècle

Dans l’Europe de Moyen Âge, la littérature savante de tous les pays employait le latin au lieu des écritures et langues nationales. Un phénomène analogue s’est produit dans le Vietnam du Moyen Âge, avant l’établissement de la colonisation français (1884-1945).

>>La paix dans la retraite

>>Une trentaine d’éditions anciennes du Truyên Kiêu

La littérature savante avait recours au chinois classique han et aux caractères chinois. Au XIIIe siècle, les Vietnamiens ont inventé l’écriture démotique nôm, basée sur les caractères chinois, pour transcrire phonétiquement le vietnamien, ce qui a permis de développer une littérature populaire en langue nationale, parallèlement à la littérature savante. Depuis l’époque coloniale, les caractères chinois et le nôm ont été remplacés par le quôc ngu, écriture romanisée.

Un pionnier de la littérature en nôm

De 1533 à 1788, le pays était divisé en deux seigneuries sous le pouvoir nominal des rois Lê (1428-1788). Dans le Sud, l’éminent lettré et homme d’État, Dào Duy Tu (1572-1634), fut un brillant pionnier de la littérature en nôm.

Dào Duy Tu est originaire du village de Hoa Trai, province de Thanh Hoa. De bonne heure réputé pour ses aptitudes littéraires, il ne peut cependant participer aux concours mandarinaux, ses parents faisant profession d’acteurs de théâtre. Dépité, il rejoint le Territoire du Sud gouverné à l’époque là par les seigneurs Nguyên. Apprécié par le seigneur Nguyên Phuc Nguyên, il est nommé ministre et fait élever les murs de Truong Duc et Dông Hoi.

En dehors du manuel de stratégie militaire Hô Truong Khu Co (Les secrets de l’art militaire), il est l’auteur de deux poèmes considérés comme les premières œuvres écrites en langue nationale sur le territoire du Sud : Ngoa Long Cuong van (Le chant du Dragon couché) et Tu Dung van (le Chant de la rade Tu Dung). Tu Dung van est un poème de près de 400 vers qui chante la beauté de la rade Tu Dung, située au sud de la cité impériale de Huê.

Un temple dédié à Dào Duy Tu, dans le district de Hoài Nhon, province de Binh Dinh (Centre) où Dào Duy Tu commença sa carrière militaire et devient un homme d’État.

Nous donnons ci-après quelques extraits d’un texte transcrit en quôc ngu (écriture romanisée) et que nous n’avons pu confronter avec le texte original en écriture démotique, ce dernier n’étant pas encore retrouvé.

Tu Dung van (Le chant de la rade Tu Dung)

Depuis que le Territoire du Sud fixe ses frontières,
Sa souveraineté s’en trouve affermie, telle une citadelle de bronze, aussi intacte qu’un vase d’or(1)
Partout, au bord des lacs ou sur les montagnes,
Fleurs épanouies et plantes verdoyantes parent les forêts d’une robe de brocart
Attrayante est la rade de Tu Dung
S’ouvrant comme une porte sur les quatre océans !
Cent sources alimentent ses eaux.
Et les constellations du ciel déterminent sa position(2)
La nuit, la lune l’éclaire comme un lièvre d’argent, le jour, le soleil, tel un corbeau d’or :
Sur terre, fleuves et monts rayonnent de beauté,
Ne le cédant en rien au lac Dông Kinh et mont Thai Hang(3)
Son site escarpé vaut celui de Kiêm Môn(4)
C’est ici le terrain de lutte pour une hégémonie et le foyer d’innombrables princes et ducs.
Tout autour, des montagnes pareilles aux tigres à l’affût ou aux dragons qui honorent le Trône,
Les eaux vert émeraude avec le ciel d’azur.

Le 15 octobre 1994, le temple dédié à Dào Duy Tu dans la province de Binh Dinh a été reconnu vestige historique au niveau national.

(La pagode)
Si l’on gravit les marches qui conduisent au ciel,
Levant les yeux, on croirait voir quelque Palais des Immortels.
Comme un vase de pierre que portent en leurs mains des déesses,
Le portique doué d’une force mystique de la pagode impressionne les pèlerins.
Trois caractères antiques sont inscrits au fronton.
Et là, près de la mer, la cloche dont les sons semblent nous parvenir de la contrée des dieux.
Des tableaux magnifiques aux couleurs éclatantes avec les neuf vieillards d’un côté et les huit Immortels de l’autre
… Et le tam-tam en bois rythmant les prières résonne au loin,
Toute source d’inquiétude et toute escale de chagrin s’anéantissent.
Le poète, en présence de ce site d’une beauté exceptionnelle,
Poussé par son inspiration, lui dédie ces vers :
Voici tout un univers de beauté,
Des horizons de brume aux nuées du couchant.
La fumée de l’encens en volutes s’élève jusqu’à la porte de Thai La(5)
(À suivre)

Huu Ngoc/CVN

--------------------

1. Citadelle de bronze et de vase d’or : images classiques employées comme symboles de la force et de la stabilité de la souveraineté nationale.
2. D’après l’ancienne conception sino-vietnamienne, chaque région de la terre correspond à une constellation déterminée, par extension : chaque peuple est maître de son propre sol.
3. Deux sites célèbres en Chine.
4. Au Setchouan (Chine), réputé pour sa position stratégique.
5. Région la plus haute du ciel.

Rédactrice en chef : Nguyễn Hồng Nga

Adresse : 79, rue Ly Thuong Kiêt, Hanoï, Vietnam.

Permis de publication : 25/GP-BTTTT

Tél : (+84) 24 38 25 20 96

E-mail : courrier@vnanet.vn, courrier.cvn@gmail.com

back to top