Un poème en nôm de Dào Duy Tu au XVIIe siècle (suite)

Originaire de la province de Thanh Hoa (Centre), l’éminent lettré et homme d’État, Dào Duy Tu (1572-1634), est un brillant pionnier de la littérature en nôm, écriture démotique vietnamienne.

>>Un poème en nôm de Dào Duy Tu au XVIIe siècle

Apprécié par le seigneur Nguyên Phuc Nguyên, il est nommé ministre et fait élever les murs de Truong Duc et Dông Hoi. En dehors du manuel de stratégie militaire Hô Truong Khu Co (Les secrets de l’art militaire), il est l’auteur de deux poèmes considérés comme les premières œuvres écrites en langue nationale sur le territoire du Sud : Ngoa Long Cuong van (Le chant du Dragon couché) et Tu Dung van (le Chant de la rade Tu Dung). Tu Dung van est un poème de près de 400 vers qui chante la beauté de la rade Tu Dung, située au sud de la cité impériale de Huê. Nous donnons ci-après quelques extraits d’un texte transcrit en quôc ngu (écriture romanisée) et que nous n’avons pu confronter avec le texte original en écriture démotique, ce dernier n’étant pas encore retrouvé.

Tu Dung van (Le chant de la rade Tu Dung)

La cloche de Bat Nha résonne au long des jours déserts.
Dans la nuit calme, s’élèvent des prières en l’honneur d’Amidha (6).
Après la pluie, la source chante comme un air de guitare, tantôt pressé et tantôt lent,
Combien mélodieux sont les chants d’oiseaux au coucher du soleil !
La Voie n’est pas loin, point n’est besoin de peiner pour la découvrir,
L’illumination bouddhique surgit dans notre âme et non ailleurs.
Le poème fini, j’appelle le bonze en agitant la main :
«Devant ces paysages, jouissez-vous d’un tel plaisir ?»

Le tombeau de Dào Duy Tu dans la province de Binh Dinh (Centre).
Photo : CTV/CVN

Tout en chantant, on peut se baigner à la source et s’étendre dans les nuages,
Au travers des mois et des jours, on vit tranquille, dédaignant les opinions oiseuses.
L’âme limpide, tel un miroir brillant, une glace sans souillure,
On se réjouit de sa nature sincère, vermeille comme du cinabre, évitant les pensées ingrates et noires.
On s’efforce de devenir un bonze illuminé,
Si l’on n’est pas encore Bouddha, au moins se rapproche-t-on des Immortels.
Abandonnons tous ceux qui n’ont pu se corriger des défauts de la vie terrestre,
Leur corps vient se réfugier près d’Amidha, ils dissimulent leur âme vile de Dao Chich
(7),

Ils se faufilent dans la forêt du Calme de l’Illumination,
Dérobant la lune au Jardin des pruniers, volant des fleurs au Jardin des pêchers (8),
Trafiquant les deux mots Nam mô (9).
Mais si leur âme se reflète dans un miroir, on verra qu’elle cache des lames acérées.
Ils déclarent aimer, secourir les vivants, aider l’homme à atteindre enfin la Perfection,
Mais s’ils ne se sont pas purifiés eux-mêmes, comment peuvent-ils purifier les autres ?
Ils déclarent agir sous les auspices de Thich Ca,
Mais où est en eux le Bat Nha qui servirait de sampan pour traverser le Lac des Passions ?
Ils déclarent vivre frugalement de sel et de légumes,
Mais leur pot de saumure de soja (10) cache des mets plus recherchés.
Ils déclarent lutter (contre le mal) avec la force du diamant (11),
Mais où est donc l’épée extirpant la tristesse, où est donc le miroir pour déceler le mal ?
Où sont les règles de fidélité au roi, de piété envers les parents ?
Où sont les moyens de servir les intérêts du pays et de la famille ?
Certains peuvent affronter bien des difficultés,
Mais ne suivent pas la voie droite pour apporter au peuple paix et sécurité.
Comment osent-ils se comparer à celui qui se réfugie dans la montagne de la Vertu (12) ?
Les arbres y forment un écran contre les choses viles, les sources y sont une barrière à toutes les pensées mauvaises.

La rue Dào Duy Tu dans le Vieux quartier de Hanoi.

Il s’avance dans le monde humain, plein de tristesse,
Mais au matin, il y entre par la porte des Saints et le soir il en sort par la grotte des Dieux.
Se mêlant aux poussières (13), il n’est aucunement souillé.

Voici un poème chantant sa vie :
Qui dit que la vie au milieu des forêts et des sources peut manquer de plaisirs ?
Le chant des oiseaux s’harmonise à celui des ruisseaux.
L’automne, on se verse joyeusement le pot d’alcool parfumé aux chrysanthèmes jaunes.
Le printemps, à pas lents, on escalade la montagne parée des fleurs blanches d’abricotier.
Le vieux pin, pour se défendre de la neige, se couvre d’ambre,
Défiant la brume, le bambou se durcit de plaques d’écaille, tout comme une tortue marine.
Qui sait où est le bonheur, où est le malheur ?
Mieux vaut se réfugier dans un endroit solitaire pour fuir le monde humain.


Huu Ngoc/CVN

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6. Amidha : nom sanscrit désignant Bouddha et signifiant «Incommensurable, infini» (d’une clarté infinie, d’une sainteté infinie).
7. Dao Chich : voleur célèbre dans l’antiquité.
8. Jardin des Pruniers, Jardin des Pêchers : séjour des Immortels.
9. Salut à Bouddha.
10. Saumure de soja : employée dans le régime de l’abstinence des bonzes.
11. Dans les textes bouddhiques, symbole de l’énergie inébranlable.
12. Allusion à une parole de Confucius : «L’homme vertueux aime la montagne», la montagne étant l’image de la Vertu, stable et ferme.
13. Le monde des mortels.

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