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La ministre allemande de l'Agriculture Julia Klöckner à une réunion des ministres de l'Agriculture européens à Luxembourg le 19 octobre. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
"Nous sommes arrivés à un accord crucial", avec un "bon équilibre" répondant aux "aspirations d'une PAC plus verte, plus juste et simplifiée", a déclaré la ministre allemande de l'Agriculture Julia Klöckner (CDU), après deux jours et une nuit de réunion au Luxembourg.
Tel n'est pas l'avis d'ONG environnementales qui le jugent nettement insuffisant.
Les orientations adoptées par les tats membres feront désormais l'objet de discussions avec le Parlement européen, qui vote cette semaine ses propres propositions.
Conseil, Commission et eurodéputés devront ensuite trancher d'ici début 2021 sur les règles qui s'appliqueront à partir de janvier 2023. Le commissaire européen à l'Agriculture, Janusz Wojciechowski, a qualifié l'accord des ministres de "bon point de départ" pour ces négociations.
Avec un budget déjà fixé d'environ 387 milliards d'euros pour sept ans, la PAC est le premier poste budgétaire de l'UE.
Selon l'accord des ministres à la majorité qualifiée, tous les agriculteurs devraient être tenus de respecter des normes environnementales beaucoup plus strictes pour recevoir des aides financières européennes.
Les petites exploitations seraient soumises à des contrôles simplifiés, "ce qui réduirait la charge administrative, tout en garantissant leur contribution aux objectifs environnementaux et climatiques".
"Phase d'apprentissage"
Surtout, les "écorégimes", un système de primes versées aux agriculteurs pour soutenir leur participation à des programmes environnementaux plus exigeants, deviendraient obligatoires : chaque État devra y consacrer au moins 20% des paiements directs de l'UE.
L'objectif étant que les exploitations reçoivent des fonds supplémentaires si elles vont au-delà des normes environnementales de base.
Ce point a fait l'objet de frictions importantes, nombre de pays de l'Est redoutant de perdre des fonds européens si un nombre insuffisant d'agriculteurs participent aux programmes environnementaux. Pour les convaincre, une "phase d'apprentissage" de deux ans est prévue.
"Nous voulons certes que nos agriculteurs soient compétitifs à travers l'UE et à l'exportation, mais avant tout nous voulons un standard (environnemental) européen qui ne soit pas basé sur le plus faible dénominateur commun", a souligné Julia Klöckner.
La France s'est aussi félicitée du caractère obligatoire des mesures environnementales "permettant d'éviter toute distorsion de concurrence".
"C'est une PAC plus verte mais surtout plus juste", a salué son ministre Julien Denormandie. Paris a aussi obtenu une rallonge de 10 ans jusqu'en 2040 pour garantir le système d'autorisation de plantations viticoles, fortement demandé par la profession.
Les programmes environnementaux concernés par les écorégimes "incluent des pratiques comme l'agriculture de haute précision, l'agro-foresterie, l'agriculture biologique, mais les Etats seront libres de désigner leurs propres instruments en fonction de leurs besoins", précise le Conseil des ministres dans un communiqué.
"En jachère"
Dans le même temps, les eurodéputés ont adopté tard mardi 20 octobre plusieurs amendements clés sur la PAC, fruit d'un compromis entre les trois grands partis au Parlement européen (PPE, droite; Renew, libéraux; S&D, sociaux-démocrates).
Ce compromis propose notamment de consacrer aux écorégimes "au moins" 30% des aides directes aux agriculteurs, ou encore de gonfler l'enveloppe prévue pour un soutien supplémentaire aux exploitations de petites surfaces. Le vote final sur la PAC au Parlement interviendra vendredi 23 octobre.
La principale organisation d'agriculteurs, le Copa-Cogeca, est restée très prudente devant le compromis des ministres "qui n'est pas parfait" mais qui "peut permettre aux agriculteurs et coopératives d'avancer, d'investir dans leurs production tout en devenant plus verts". Elle attend le vote final du Parlement.
En revanche, les accords des ministres comme des eurodéputés ont été vivement dénoncés par des ONG, qui les jugent incompatibles avec les engagements verts pris par l'UE.
L'architecture de la nouvelle PAC a été élaborée en 2018, avant les stratégies du Pacte vert et "De la ferme à l'assiette", présentées par Bruxelles au printemps 2020.
Celles-ci visent notamment à réduire de 50% l'usage de pesticides d'ici 2030 tout en réservant un quart des terres aux cultures biologiques.
"C'est un jour sombre pour l'environnement (...) La transition vers une agriculture écologique est désormais en jachère", a réagi Bérénice Dupeux, de l'European Environmental Bureau, dénonçant l'adoption d'"objectifs économiques contradictoires" et le seuil trop bas réservé aux écorégimes.
Le collectif français "Pour une autre PAC", membre du groupement "Good Food Good Farming" réunissant 400 ONG, associations paysannes, de défense des animaux et des consommateurs en Europe, a aussi dénoncé "l'immobilisme coupable" du conseil qui "condamne la prochaine PAC à servir un modèle agricole obsolète".