Trois unis à jamais

Le Têt est la plus belle fête au Vietnam. Nouvelle année, renouveau des récoltes, annonce des futurs beaux jours… Retrouvailles familiales par excellence, c’est aussi l’occasion de narrer les contes ancestraux le soir du Réveillon.

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Les habits en papiers votifs dédiés aux Génies du foyer.

Savez-vous ce que l’on fête une semaine avant le jour du Têt, le 23e jour du 12e mois de l’année lunaire pour être précis ? Dans chaque famille, on célèbre les Táo Quân (Dieux Lares) que l’on nomme aussi les Génies du foyer. Écoutez leur belle histoire, qui vous touchera sûrement au cœur !

Séparés si longtemps...

Il y a de cela bien longtemps, vivait un ménage très uni mais très pauvre. Cette année-là fut particulièrement difficile et le riz s’était fait extrêmement rare. Après bien des hésitations, le mari dit à son épouse : "Ma chérie, je ne trouve plus de travail au village, et il me faut aller au loin pour bosser afin d’assurer la subsistance de notre famille". Elle voulut l’accompagner, mais il lui répondit : "Je ne sais encore ce que je vais faire. Peut-être, ne trouverai-je rien du tout, et alors me laisserai-je mourir au bord d’une route. Il est aussi possible que la chance me sourit. Dans ce cas, ayant amassé un petit pécule, je reviendrai au village, et cette fois nous ne nous quitterons plus. Dans tous les cas, je te demande de m’être fidèle pendant trois ans à partir d’aujourd’hui. Si après trois ans, je ne suis pas de retour, c’est que très certainement je serai mort ; alors, tu pourras te remarier".

L’épouse pleura abondamment. Mais, elle ne pouvait se résoudre à voir son mari mourir de faim en voulant le garder auprès d’elle. Alors, elle fit la promesse de l’attendre, chaque jour, chaque nuit, pendant les trois ans à venir. Après son départ, elle continua à travailler chez un petit propriétaire de rizières, où son zèle et sa gentillesse étaient très appréciés et où elle gagnait de quoi se nourrir.

Les trois années passèrent rapidement sans qu’elle vit revenir son mari. Son employeur, dont la femme venait de mourir, ayant, au cours des années qui venaient de s’écouler, remarqué sa conduite irréprochable, voulut la prendre pour épouse. Mais, elle lui demanda un délai, car elle espérait toujours. Quatre nouvelles années s’écoulèrent ainsi sans que son mari donne de ses nouvelles…

Un plateau composé de différents plats pour le culte des Génies du foyer, organisé le 23e jour du 12e mois lunaire.

Un jour, l’employeur dit à la jeune femme : "Il faut que nous soyons mariés. Cela fait sept ans que votre mari est parti. Or, de deux choses l’une : ou bien il est mort, ou bien il s’est fixé dans quelque coin de la haute région, où il s’est créé un nouveau foyer. Dans ce dernier cas, il n’y a aucune chance pour qu’il revienne". Devant ses pressantes instances et sa profonde bonté, la femme finit par céder, et tout le village fut heureux d’assister à leur mariage. Mais, quelques mois plus tard, l’époux revint, provoquant la stupeur dans tout le village. Le premier mari dit avec bonté : "J’ai eu tort de m’absenter aussi longtemps, mais puisque tu es remariée, je prends la seule décision qui soit convenable : je m’éloigne à jamais".

Et malgré les supplications de celle qui avait été son épouse, il partit. Il n’alla pas loin, car il aimait toujours profondément sa compagne et ne pouvait se détacher des lieux où elle vivait. À l’extrémité du village, se trouvait un grand banian. Il attacha sa ceinture à l’une des branches maîtresses et se pendit : ainsi, espérait-il, son âme continuerait à errer dans ces parages.

... Unis pour toujours !

Quelques instants plus tard, la journée finie, un laboureur, qui rentrait de sa rizière avec son buffle, aperçut le corps du désespéré. Il donna l’alerte au village qui lui donna des obsèques respectueuses. Mais, cette mort violente émut profondément la pauvre femme qui s’en rendit responsable. Elle avait attendu sept longues années, pourquoi n’avoir donc pas patienté quelques mois de plus ? De désespoir, le lendemain, elle alla se noyer dans la grande mare située derrière la maison commune afin de rejoindre dans l’au-delà celui qu’elle n’avait cessé d’aimer.

Le deuxième marie devint incon-solable, car il s’attribuait la cause de ces deux suicides : n’avait-il pas enlevé la femme d’un autre ? Alors, ayant pris ses dispositions pour que ses rizières fussent réparties entre la pagode et les pauvres, il but une tasse de poison et se coucha pour ne plus se relever.

Arrivé dans l’autre monde, il s’empressa de rejoindre le couple, et tous trois se présentèrent devant le souverain du royaume des Morts (Diêm Vuong) afin de subir le jugement dernier. Le premier mari, dit qu’il n’avait jamais cessé d’aimer sa femme. Le deuxième déclara à son tour qu’il s’était pris d’une profonde affection pour sa nouvelle compagne. La femme affirma que son amour pour son premier mari avait constamment occupé une grande place dans son cœur, où voisinait également une infinie tendresse pour son second époux, si bon et si bienveillant.

Les Táo Quân ou les Génies du foyer ont inspiré une émission télévisée qui est très attendue par les Vietnamiens le soir du Réveillon.

Le souverain du royaume des Morts, touché par leurs explications, prit la décision suivante : pour que tous trois puissent continuer à vivre ensemble, il les métamorphosa en briques destinées au foyer des cuisines vietnamiennes, afin que le même feu ardent continue toujours à souffler sur eux. En même temps, il décréta qu’ils constitueraient la trinité du foyer. D’autres anciens content la même légende d’une autre manière. Un couple était tellement pauvre que le mari dut partir au loin pour gagner sa vie. Après avoir attendu son époux de longues années, la femme finit par se remarier.

Un jour, son vieux mari vint par hasard frapper à sa porte pour mendier de la nourriture. Le vieux couple se reconnut. Triste et gênée de son infidélité à son mari, la femme l’abrita, pendant l’absence de son nouvel époux. Au retour de ce dernier, elle cacha son ancien mari sous une vieille meule de paille de riz. À ce moment, un serviteur qui devait brûler cette vieille paille y mit le feu… Folle de douleur, la femme sauta dans les flammes pour tenter de sauver son premier époux. Voyant ceci, le nouvel époux se précipita dans la fournaise pour l’en sortir. Ils moururent tous les trois.

Touché par cet amour profond, l’Empereur de Jade permit aux trois personnages de vivre ensemble comme le Dieu de la cuisine. C’est pourquoi, on trouve aujourd’hui encore dans les cuisines des Vietnamiens à la campagne, des briques disposées en trépied pour former un réchaud à bois. Et c’est aussi pourquoi, au 23e jour du 12e mois lunaire, toute maîtresse de maison doit acheter trois chapeaux emboîtés les uns dans les autres.


Ông Ngoai/CVN

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