>>Riccardo Bianco Levrin : «J’ai choisi le Vietnam»
Les rues de Hanoï sont bondées avec notamment les gens qui se déplacent en moto. |
Les écoliers ont quitté leur chemin pour reprendre celui de l’école. Les portes coulissantes des banques et des administrations coulissent de nouveau. Les stores des magasins se relèvent peu à peu. Le Vietnam reprend une vie normale après les congés du Têt. Certes, il a un peu la gueule de bois, mais vaille que vaille, le train-train quotidien retrouve sa place. Juste le temps de se préparer pour la prochaine...
Pas commun !
Si la circulation intense qui encombre les rues de Hanoï ne m’avait convaincu que les congés étaient bien finis, la vue des scieurs installés au carrefour de la rue Duong Thành et de la place Hàng Da à Hanoï, me confirme bien que le travail a repris. À chaque fois que je passe devant ces modestes artisans, je ne peux m’empêcher de penser à la ténacité dont ils font preuve, assis toute la journée, au bord du trottoir, attendant l’hypothétique client qui viendra leur apporter une planche ou un tube à scier. Combien d’heures à patienter, pour quelques coups de scie sur mesure ?
Tout à mes réflexions, j’en oublie la personne qui me hèle un peu plus loin, au croisement de Duong Thành et Hàng Bông. Coup de frein en urgence, pour répondre à l’invite de mon xe ôm (moto-taxi) préféré. Je le connais depuis plus de 10 ans, et aujourd’hui encore, il porte fièrement une belle cinquantaine : chevelure brune bien fournie, moustache conquérante, œil malicieux, il respire la joie de vivre. Je l’ai rencontré quand il m’a fallu trouver un moto-taxi pour promener la femme d’un couple qui souhaitait découvrir Hanoï by night en deux roues.
La moitié masculine en selle derrière moi, je devais dénicher un complice pour transporter la moitié féminine. Très naturellement, j’avais sillonné les rues autour de l’hôtel où résidait le couple, et j’avais découvert un homme allongé sur sa moto, lunettes sur le nez et livre en main. Oui, j’ai bien écrit, livre en main ! La position allongée sur la moto désignait bien le xe ôm, mais j’étais plutôt surpris par son activité conjointe.
Une touriste étrangère qui a choisi de découvrir Hanoï en moto-taxi. |
Photo : LD/CVN |
En effet si, voir un xe ôm tromper le temps en lisant le journal est chose commune, le voir feuilleter un livre est aussi rare que le cheveu sur la tête d’un chauve. Surprise d’autant plus grande que le livre en question était la traduction en vietnamien de Guerre et Paix. Comment ne pas tomber sous le charme d’un xe ôm hanoien qui lit du Tolstoi ? Depuis, il m’en a promené des amateurs de course cheveux au vent.
Des hardis qui n’hésitaient pas à se contorsionner sur la selle pour prendre des photos au vol. Des timides qui se cramponnaient à sa taille, à ses épaules, et même à son cou, au risque de l’étouffer. Des curieux qui lui posaient des questions en anglais, auxquelles il ne comprenait goutte, mais pour lesquelles il donnait une réponse en vietnamien, gestes à l’appui, qui semblaient satisfaire le client. Je l’ai même emmené dans des randonnées autour de Hanoï.
Je me souviens de cette fois où nous avions recruté un autre collègue pour promener une famille. Le père avec moi, la mère avec son acolyte, et une petite fille avec lui. C’est lui qui ouvrait la route, et je m’émerveillais de voir les attentions qu’il apportait à sa petite passagère. Ralentissant pour qu’elle puisse voir les buffles de près, s’arrêtant pour lui cueillir un fruit, lui montrant une scène ici ou là, riant avec elle… Un xe ôm amateur de littérature au comportement de père de famille : je n’ai jamais lâché cette perle rare ! Impossible donc de passer devant lui sans le saluer et échanger nos vœux pour la nouvelle année.
Pensées communes !
Et comme rien ne me presse, nous nous installons sur le tabouret bas du petit café qui se trouve non loin de là pour trinquer au trà da à ce Coq de Feu qui ébouriffe ses plumes pour les mois à venir. En devisant nous observons le spectacle de la rue : badauds qui profitent de la réouverture des magasins, motocyclistes pressés qui zigzaguent entre les voitures pataudes, vendeuses de rue qui portent des palanches lourdement chargées…
Au hasard de leur promenade, mes yeux tombent sur une affiche à la devanture d’une parfumerie. Elle proclame fièrement une réduction de 30% pour la Saint Valentin, que l’on appelle ici, au grand dam de mon orgueil francophone, le Valentine Day ! La Saint-Valentin, la fête occidentale des amoureux. Je dis bien fête occidentale, car au Vietnam il existe la fête des amoureux, en automne. Mais, comme je l’ai déjà écrit dans ces lignes, le Vietnamien n’est pas chiche de fêtes qui permettent tout autant de se réjouir que de faire du commerce, et tout naturellement les amoureux se trouvent dotés de deux fêtes pour se rappeler, si tant est besoin, que les marques d’amour sont parfois utiles pour savoir que l’on est aimé !
Combien de promesses d’amour devant le pagodon du lac Hoàn Kiêm (lac de l’Épée restituée). |
Ainsi, à peine deux semaines après le Têt, les parfumeurs, bijoutiers, restaurateurs et fleuristes vont pouvoir se frotter les mains : les affaires reprennent. Et après les vœux de bonheur pour 2017, les amoureux vont pouvoir renouveler leurs serments d’amour éternel. Le soir venu, les bancs publics, autour du lac Hoàn Kiêm (lac de l’Épée restituée), vont bruire des tendresses murmurées. Sur les rives de Hô Tây (lac de l’Ouest), des silhouettes enlacées sur les motos vont illustrer le dicton : ne faire plus qu’un ! Il faudra prendre garde à ralentir sur le pont Nhât Tân, sous les haubans majestueux, pour ne pas percuter les couples qui se jurent fidélité au-dessus du fleuve Rouge. Mais surtout, redoubler de vigilance le 14 février, quand chacun sera à la recherche du bouquet à offrir à sa dulcinée. Conducteurs de voiture et pilotes de moto n’auront d’yeux que pour les bas-côtés, où s’afficheront des bottes de fleurs multicolores au parfum capiteux.
Ce jour là, la règle élémentaire qui consiste à regarder devant soi quand on conduit, sera abolie. Ainsi que son corollaire, à savoir qu’on ne s’arrête pas brusquement sans prévenir, ni n’importe où. Une nouvelle preuve que l’ocytocine, cette hormone de l’amour, rend (temporairement ?) irrationnel (voire plus simplement idiot !) En effet, vous m’accorderez que prendre le risque de rentrer chez soi avec un bouquet à la main, mais avec le train arrière de son véhicule, enfoncé, comporte une menace de déflagration amoureuse plus importante qu’une promesse de déclaration amoureuse !
Bon, ce n’est pas tout çà ! Congé pris de mon sympathique xe ôm, je me demande bien ce que je vais offrir à ma femme pour la Saint-Valentin !
Gérard Bonnafont/CVN