Un arbre-musée ou un arbre protecteur, ami du promeneur... |
Photo: CTV/CVN |
Badaud qui te baguenaude dans la ville de Hanoï, cette tranche de vie est pour toi. Quand ce matin, tu es parti pour flâner dans les rues et les ruelles, le nez au vent et l’esprit ouvert aux rencontres de hasard, tu n’as peut-être pas imaginé que cette chaude journée au ciel azuréen pouvait se transformer en douche céleste intempestive, ou que ce matin maussade pouvait se nettoyer des nuages gris pour laisser place à un soleil impitoyable...
Dans les deux cas, s’abriter peut devenir un cas d’urgence. Heureusement, des toits et des ombrages hospitaliers nous tendent tuiles et feuilles.
Oubliez le guide!
L’araignée n’a pas le temps de monter à la gouttière que déjà il pleut? C’est le moment de se faire un musée. Suivez le guide! S’il y en a un. Car au Vietnam, le guide est un personnage rare. Je ne parle pas de celui que l’on attache parfois à ses basques pour qu’il soit notre amphitryon. Je parle de celui qui vous demande de ne pas l’oublier à la fin de la visite en vous tendant une main à remplir plutôt qu’à serrer.
Souvent, il est affublé d’une casquette ou d’un badge et, par magie, il transforme le musée au fil de la promenade. Il en fait un sanctuaire quand il s’exprime à mi-voix, colorant les lieux d’une solennité qui élève l’âme et exerce l’oreille. Il en fait un endroit inquiétant quand il révèle de sombres mystères qui donnent la chair de poule. Il en fait un monde où s’animent les statues et prennent vie les tableaux quand il les évoque avec familiarité.
Cicérone intransigeant, il foudroie d’un regard impitoyable celui qui s’écarte du chemin qu’il a tracé: le musée, c’est chez lui et nous y sommes invités. Autant dire que guide et musée, ce sont Castor et Pollux ou Roméo et Juliette.
Et pourtant, au Vietnam, toute cette belle construction s’écroule. Ici, point de guide, mais des textes, des légendes explicatives, des cartouches pédagogiques, des inscriptions illustratives. Le visiteur de musée au Vietnam doit avoir de bons yeux plutôt que de bonnes oreilles.
Mais, attention, absence de guide ne signifie pas absence de présence humaine. Au contraire!
Le premier contact passe par le vendeur de tickets d’entrée qui, avec le sourire et contre billets, vous remet de magnifiques images polychromiques qui présument déjà de ce que vous allez découvrir dans le musée. Je trouve tellement beaux ces tickets de musée au Vietnam que j’en fais collection, sauf qu’aucun de ceux que j’ai conservé n’est intact.
En effet, inutile d’enfouir les tickets dans la poche, car une dizaine de mètres plus loin, posté à la porte du musée, le déchireur (ou coupeur selon) de tickets entre en action! Sourire toujours présent, il se saisit de ce que vous avez payé à la sueur de votre front et, d’un coup de main ou de ciseau, il exerce son office: détruire un bout du ticket pour faire la preuve que vous êtes bien entré dans le musée par la bonne porte.
J’ai eu beau implorer, protester, dire que ce n’est pas la peine de faire d’aussi beau ticket pour les outrager ainsi. Rien n’y fait. Comme pour le timbre-poste collé sur une lettre, mon ticket doit être estampillé, quitte à en détruire son harmonie et mon sens de l’esthétique.
Passée cette dure épreuve, on peut se croire libéré. Que nenni! Un musée a un sens de visite et il serait impossible de l’oublier quand, disposés de façon judicieuse tout au long du parcours, d’aimables personnes au sourire imperturbable vous orientent dans la bonne direction d’un geste auguste du bras. La découverte muséologique ne s’improvise pas!
Vieille branche
Que le ciel arde ou qu’il tombe quelques gouttes, inutile de se précipiter sous un porche: il y a toujours une frondaison accueillante pour éviter de transformer la permanente en serpillière. Il y en a même qui les ont comptés ces frondaisons: près de 45.000. Difficile d’y échapper! Et, en plus d’être en nombre, messieurs les arbres jouent la diversité culturelle: près de 180 espèces différentes, fruitières, médicinales, résineuses... De quoi faire frémir de plaisir les botanistes du monde entier.
Justement, en voici un qui a de quoi être fier! Celui-ci est un banian vénérable, au tronc tourmenté par les siècles. Il laisse tomber ses racines sur le trottoir de la rue Hàng Gai, au cœur de Hanoï, sans grand espoir de pouvoir percer cet asphalte, ennemi juré de tous les arbres du monde…
La première fois que je l’ai rencontré, c’est quand je découvrais la ville peu de temps après mes premiers pas au Vietnam. Jusqu’alors, pour moi, un arbre, c’était un tronc avec des branches apparentes et des racines mystérieuses, cachées sous la terre. Et, là, brusquement, je me trouvais face à des racines aériennes qui flottaient devant mes yeux ébahis! De quoi remettre en question la logique cartésienne qui avait présidé à tout mon savoir scientifique.
Laquelle logique s’en est trouvé encore plus perturbée quand j’ai aperçu dans les circonvolutions du tronc des statuettes de bouddha disposées au hasard d’excavations et de nœuds du bois. Pire encore, au détriment de toute sécurité, des bâtons d’encens se consumaient lentement à quelques millimètres d’une écorce certainement inflammable!
J’ignorais que je me trouvais devant ce vieux banian qu’admire tant Huu Ngoc, ce maître incontesté de l’histoire de Hanoï, et par qui j’appris plus tard que l’on suspendait autrefois "aux racines adventives de cet arbre des vases de chaux éteintes pour le culte des âmes errantes". Sacré et vénéré, ce Ficus prolixa(!) est toujours présent au 83, rue Hàng Gai.
Si vous passez sous ses racines (magnifique expression n’est-ce pas!), laissez votre imagination vous porter plusieurs siècles en arrière quand, jeune pousse, il pouvait voir vaquer à leurs occupations quotidiennes les habitants d’un tout petit hameau, Cô Vu, qui était loin de savoir qu’un jour, il ferait partie de la capitale du Vietnam.
Prendre racine dans les musées ou muser sous les ombrages, qu’importent les caprices du ciel hanoïen!
Gérard BONNAFONT/CVN