Sport et manga, l'alchimie des "héros" aux Jeux de Tokyo

Disputer les Jeux olympiques au Japon offre un symbole fort à une génération d'athlètes baignée dans le manga, univers de la bande dessinée japonaise étroitement lié au monde du sport par les valeurs de ses personnages.

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Noah Lyles avec les cheveux teints en hommage à Goku, héros du manga "Dragon Ball", lors des sélections américaines d'athlétisme le 27 juillet 2019.
Photo : AFP/VNA/CVN

Que ce soit en version papier ou en série animée, les enfants des années 1990 ont pu grandir avec les mangas, boostés par internet, comme le grand succès One Piece, série en cours depuis 1997 vendue à plus de 480 millions d'exemplaires à travers le monde, d'après le site spécialisé mangazenkan.com.

De nombreux sportifs attendus à Tokyo du 23 juillet au 8 août, et pas seulement les Japonais, sont de grands amateurs du genre.

"+One Piece+ c'est l'histoire la plus incroyable, ça a changé ma vie. Je lis toutes les semaines le nouveau chapitre", s'emballe le champion du monde 2017 du 800m, le Français Pierre-Ambroise Bosse, qui appelle régulièrement ses compatriotes Jimmy Vicaut (co-recordman d'Europe du 100m) et Dimitri Bascou (médaillé de bronze olympique sur 110m haies) pour débattre de sa lecture hebdomadaire.

La star américaine Noah Lyles, champion du monde du 200m, aime saluer sa passion : en 2019 lors des sélections américains pour les Mondiaux d'athlétisme, il s'était teint les cheveux en hommage à Goku, héros du grand classique Dragon Ball. "Je restais éveillé la nuit pour lire de 21h00 à 03h00 du matin quand j'étais au collège", raconte-t-il lors d'un live Instagram en compagnie de la nageuse Katie Ledecky.

Le pouvoir intérieur

L'intérêt du manga pour le sport semble réciproque, les deux univers se nourrissant l'un et l'autre, notamment dans le sous-genre du "shonen", le plus répandu.

"Le Shonen Jump (magazine de référence) est vendu à plusieurs millions d'exemplaires par semaine. Sa devise a longtemps été +amitié, victoire et persévérance+", explique Julien Bouvard, maître de conférence à l'Université de Lyon et spécialiste du domaine.

"Dans les années 1990 surtout, le schéma classique c'est un héros ou une héroïne dont on voit l'évolution depuis sa petite enfance jusqu'à l'âge adulte, pour suivre l'évolution du lectorat. Il s'entraîne pour devenir plus fort et combattre des ennemis qui vont devenir graduellement plus forts aussi. Par rapport à une vie de sportif, ça fait sens."

"J'ai été bercé dans l'univers des shonen, abonde Pierre-Ambroise Bosse. Un héros qui morflait et qui petit à petit progressait avant de se faire respecter, c'est l'évolution du personnage qui me plaisait".

"Le pouvoir intérieur est plus fort que tout, c'est comme dans l'athlétisme, il faut puiser en soi, plusieurs fois je me suis senti pris là-dedans à l'entraînement. Les héros se font battre avant de vaincre le boss. C'est pareil dans l'athlétisme, on perd plus qu'on ne gagne. L'important est de ne jamais baisser les bras. Gagner quand personne ne t'attend, les mangas m'ont apporté ça", ajoute-t-il en clin d'œil à son titre mondial surprise de 2017.

Le manga "One piece" présenté au Salon du livre de Paris le 18 mars 2019.
Photo : AFP/VNA/CVN

Luffy de One Piece ou Naruto de l'œuvre éponyme, deux héros de grands récits d'aventure, se relèvent en effet inlassablement, apôtres de la persévérance, miroir du sportif de haut niveau.

"Les mangas sont sympas à lire car les héros ont une appréciation de la douleur décalée, ils arrivent à se faire mal, à dépasser leurs limites. Je prends exemple là dedans, je sais que je vais +en chier+ aux Jeux olympiques. Je me visualise dans cet univers différent", développe le recordman du monde du décathlon Kevin Mayer, autre fan de bande dessinée japonaise.

USA, "le boss à battre"

Le lien est parfois direct avec les très nombreux mangas de sport, "une longue tradition qui débute avant guerre, puis explose dans les années 1950 avec les mangas de baseball, basket et d'arts martiaux, ces derniers étant auparavant interdits par le GHQ, l'occupation américaine", détaille M. Bouvard.

"Dans les années 1960 se constitue le genre du Supokon, des séries où de jeunes sportifs font preuve d'énormément de détermination, jusqu'à y laisser leur santé, parfois leur vie, avec des combats qui deviennent presque existentiels. Les JO de Tokyo en 1964 ont agi comme amplificateurs du genre."

"Dans certains mangas on assiste à des oppositions entre pays, le summum étant les Jeux olympiques, l'affrontement avec les États-Unis, souvent le +boss+ à battre, pour une revanche profonde sur l'humiliation de l'occupation américaine", explique l'universitaire.

"Ils correspondent à une conception différente du sport au Japon où l'entraînement n'est pas un moyen rationnel de s'améliorer physiquement mais de fortifier son mental, une sorte de méditation, qui permet de battre un adversaire plus fort grâce à son esprit."

Des valeurs à mettre en oeuvre par les quelque 11.000 "héros" bien réels attendus à Tokyo.


AFP/VNA/CVN

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