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Des oeufs d'esturgeon sont préparés pour etre emballés dans la ferme d'aquaculture de Sturia à Saint Genis-de-Saintonge. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
"Caviar !", annonce-t-il, alors que le moniteur montre le bon scintillement autour de chaque grain rond, avant de crier "trop mûr !", signe que le cycle de grossesse est allé trop loin et que les œufs se sont ramollis, perdant le craquement crucial. La femelle retournera donc dans l'eau pendant deux ans.
Pour l'entreprise Sturia, marque phare du premier producteur de caviar français, Sturgeon, il s'agit d'un processus incroyablement laborieux : 20.000 poissons par an subissent une échographie pour 300 tonnes de caviar.
Un processus rendu indispensable avec le réchauffement climatique. Car, avec des eaux plus chaudes qui accélèrent le cycle de grossesse un grand nombre d'oeufs sont de plus en plus souvent trop mûrs.
"On voit les conditions évoluer ces dernières années, des hivers de moins en moins rudes, ça fait dix ans qu’on n'a pas vu de glace sur les étangs", souligne Christophe Baudoin.
Un poisson sur cinq est mort en 2021 lorsque la température de l'eau a atteint 30°, cinq degrés au-dessus de la zone de confort d'un esturgeon.
"Vous ne connaissez peut-être pas chacun par son nom, mais ce n'est jamais agréable de sortir de l'eau un poisson mort - et bien sûr, le coût pour le groupe est énorme", souligne le patron de Sturia, Laurent Dulau.
Pêché jusqu'à l'extinction dans la nature - y compris les eaux russes et iraniennes de la mer Caspienne - l'esturgeon existe désormais presque exclusivement dans des fermes, la plupart en Chine.
En Gironde, l'esturgeon a été pêché depuis des siècles, mais ses oeufs n'ont jamais été particulièrement appréciés : au Moyen-âge, on les donnait même aux cochons.
Ce sont les immigrés arméniens Melkoum et Mouchegh Petrossian, fondateurs de la marque du même nom, qui ont importé la mode du caviar en France au début du 20e siècle.
Ils ont d'abord persuadé César Ritz de mettre les œufs d'esturgeons de la Caspienne à la carte de ses palaces avant d'ouvrir leur boutique à Paris.
"Moins mais mieux"
En France, l'élevage n'a commencé que dans les années 1990 et se développe depuis l'interdiction du caviar sauvage en 2008.
Préparation de boites de caviar dans la ferme d'aquaculture de Sturia, le 7 décembre. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Un projet risqué car cela peut prendre jusqu'à 10 ans pour élever un esturgeon... et découvrir que la qualité du caviar n'est pas au rendez-vous. Les premiers caviars avaient le goût de vase, ce qui est de mieux en mieux maîtrisé. Mais c'est le caviar chinois schrenki aux grains dorés et au goût plus rond et complexe qui est privilégié par les chefs français.
Incapables de concurrencer la Chine en terme de quantité, les producteurs français misent sur une agriculture durable. L'échographie évite ainsi de tuer inutilement les esturgeons et ils n'utilisent pas d'antibiotiques.
Sturia envoie la chair d'esturgeon pour être utilisée pour les rillettes, les gonades - riches en collagène - pour les cosmétiques, la peau pour le cuir et une colle spécialisée appréciée des luthiers.
M. Dulau affirme que l'accent mis sur la traçabilité et la qualité redore l'image du caviar après la crise de la surpêche : "l'idée est de produire moins, mais mieux".
Michel Berthommier, autre producteur de caviar d'Aquitaine nommé Caviar Perlita, est frustré que "neuf restaurants français sur 10, peut-être 10 sur 10" s'approvisionnent encore en Chine. "Nous vendons plus à Singapour qu'aux restaurants à 10 km d'ici", dit-il, même s'il pense que la transparence de la production française finira par séduire les acheteurs.
"Avant, il y avait un mystère autour de la façon dont ces poissons étaient élevés. Aujourd'hui on est totalement transparent sur la façon dont vivent nos poissons, sur la manière dont on les alimente, dont on fait nos sélections".
AFP/VNA/CVN