>>Le chanteur haïtien Jean Jean Roosevelt en concert
>>Pink Martini en concert à Hô Chi Minh-Ville
Rien n’est surfait chez Jean Jean Roosevelt. Ni ses sourires, ni ses clins d’œil, pas même ce mouvement lorsqu’il rejette ses cheveux en arrière. Non, sur scène, il vit sa musique, simplement. Le chanteur haïtien a donné, le week-end dernier, deux concerts dans le cadre de la Journée internationale de la Francophonie, à Hanoi et à Hô Chi Minh-Ville. Entretien en coulisses.
Que représentent pour vous ces deux concerts ?
En tant qu’Haïtien, venir au Vietnam, c’est beaucoup de chose. Pour nous qui sommes presque en Amérique, c’est à l’autre bout du monde! Avec ce voyage, je réalise un rêve d’enfant. Et en plus pour y jouer ma musique. C’est un grand honneur.
Jean Jean Roosevelt a appris la guitare en autodidacte, en observant son père et son grand frère. |
Comment votre carrière a-t-elle évolué après votre médaille d’or chanson au Jeux de la Francophonie, doublée du prix TV5 monde, en 2013 ?
Sur le plan international, j’ai eu beaucoup plus de demandes. Ce qui m’a permis de voyager. Cette médaille revêt aussi une signification particulière pour les jeunes de mon pays. Elle est synonyme d’espoir. À Haïti, il est très difficile de faire et de vivre de la musique. Ces jeunes savent que j’ai commencé comme eux, à jouer dans la rue. Lorsqu’ils voient où je suis aujourd’hui, ils peuvent espérer suivre le même chemin que moi.
Votre vision de la Francophonie a-t-elle changé au travers des voyages que vous avez entrepris dans les pays francophones ?
J’avoue que deux ans avant ma participation aux Jeux de la Francophonie, je ne connaissais pas vraiment cette organisation. J’en avais certes entendu parler, mais je savais seulement qu’elle regroupait les pays qui parlent le français. À force de voyager, j’ai compris que la Francophonie était autre chose : une organisation qui porte des valeurs, dans laquelle des États se sont réunis pour promouvoir la paix, la solidarité, la protection de l’environnement, les droits des enfants, etc.
Qu’est-ce que la Francophonie apporte à Haïti ?
Pour être honnête, les Haïtiens diront que la Francophonie ne leur apporte rien. Le pays est proche de l’Amérique. En République dominicaine, pays voisin, on parle espagnol, Cuba n’est pas très loin non plus. Nous francophones sommes un peu isolés. Pourtant, je pense qu’il est nécessaire de resserrer les liens avec la Francophonie et de profiter au maximum des avantages qu’elle apporte. Il est aussi important d’assumer notre histoire. Mais si les Haïtiens veulent que la Francophonie leur offre quelque chose, il faut aussi qu’ils donnent en retour. Or, nous avons beaucoup à partager, d’un point de vue humain, culturel, littéraire et musical évidemment.
Justement, dites-en plus sur votre musique, qu’on appelle «tchaka»…
Ce terme signifie «mélange». Car dans mes chansons, je combine des rythmes traditionnels de mon pays: nago, ibo, yanvalou, djouba, kongo, rabòday et des influences reggae, RnB et afro beat. C’est ma recette à moi. D’ailleurs, le tchaka est aussi un plat! Un mélange de riz, de pois, de maïs, etc.
Dans vos chansons, vous défendez des valeurs de solidarité, d’équité de genre, de civisme, de persévérance, de préservation de l’environnement. Tout un programme…
C’est un devoir pour moi en tant que citoyen du monde et aussi en tant qu’Haïtien. Je viens d’un pays où les choses ne vont pas très bien, où les problèmes sont nombreux. Chanter est ma façon d’apporter mon grain de sel à la réalisation d’un meilleur Haïti et aussi d’un monde meilleur. Si je ne le faisais pas, j’aurais l’impression de passer à côté de quelque chose. Parmi tous les thèmes que j’aborde, l’égalité en est un qui me tient vraiment à cœur. Je plaide pour un monde juste et vivable.
Vos chansons sont tantôt énergiques, tantôt calmes, une diversité propice pour faire passer ces messages ?
Clairement. Certaines chansons invitent même à la danse. En dansant, le temps passe vite, on s’imprègne des mots. Les chansons plus posées, avec des mélodies lentes, invitent à une réflexion plus profonde.
Votre avez appris la guitare en autodidacte, pourquoi avoir choisi cet instrument ?
Il y avait toujours une guitare à la maison. Mon père et mon grand frère en jouaient, en amateurs. J’observais la position de leurs doigts et c’est comme ça que j’ai appris. Aujourd’hui, je ne peux plus m’en passer. Sans ma guitare, ce n’est pas moi.
Bio express
Âge : 31 ans, benjamin d’une famille de six enfants. Né à Jérémie, dans le Sud-Ouest de Haïti.
Formation : Études en histoire de l’art
Musique : Il a sorti trois albums, Recommence (2007), Piga (2009) et Ya danger (2012) ainsi qu’un recueil compilant textes et chansons Mes lavironndede (2013). Un quatrième opus est en préparation.
Prix : Il a remporté le concours de Radio Grand’Anse en 1990, Tropical airways en 1998 et Solèy Sounds System en 2005 et 2006. En 2013, il a gagné la médaille d’or dans la catégorie chanson aux Jeux de la Francophonie et a été couronné prix TV5 monde.
Le Vietnam, une première
Ce voyage au Vietnam était une première pour Jean Jean Roosevelt. Comme beaucoup d’autres, quand on lui demande ce qui l’impressionne, il répond sans hésiter : «les motos. Ici, les routes sont remplies de véritables marées de motos !» En contraste avec une circulation parfois chaotique, le chanteur haïtien relève le caractère paisible des Vietnamiens. «Les chauffeurs de taxi sourient toujours, on se demande d’ailleurs pourquoi !» Et d’ajouter : «La température est assez similaire à Haïti. Sur ce point, je ne me sens pas trop dépaysé». Désireux de communiquer au maximum, le chanteur haïtien n’a pas tardé à apprendre quelques mots de vietnamien. «Je peux dire xin chào et cam on. Mais je ne sais pas encore dire Je vous aime», lance-t-il avec malice.
Texte et photo : Angélique Rime/CVN