Sans aucun regret

Décider de transporter ses pénates à l’autre bout du monde est toujours un pari. L’herbe y sera-t-elle vraiment plus verte que chez soi ? Éléments de réponse...

>>Une ruelle pas si tranquille !

>>Ne pas mélanger les torchons et les serviettes !

>>À ne pas mettre un chien dehors !

Quand j’ai quitté mes bords de Seine pour me poser sur les rives du fleuve Rouge, il y avait sans doute, outre le plaisir de retrouver des racines éloignées, celui de vérifier si le vert des rizières était plus beau que celui des champs de luzerne. Si le saut de quelques fuseaux horaires a été plus long que celui du ruisseau qui me séparait de la maison voisine, pas un seul instant je ne regrette de l’avoir fait !

Du temps pour tout

Nombreuses sont les personnes qui se demandent ce que je peux bien trouver de si intéressant au Vietnam. Car enfin, j’ai laissé derrière moi un pays tempéré, qui peut s’enorgueillir d’avoir des paysages et des types de fromages aussi variés que le nombre de légumes dans un minestrone provençal. Comment pouvais-je abandonner les brumes d’automne des bords de Loire, les pistes étincelantes des neiges d’hiver, les violettes et les muguets du printemps, les rivages ensoleillés de la Riviera ? Et tout ça, pour un pays de pluies diluviennes, de chaleur accablante, de jungle grouillante de serpents, et de rizière encombrée par des buffles vindicatifs, où seule la baie de Ha Long (province de Quang Ninh, au Nord) paraît digne d’intérêt parce qu’elle permet de rêver à des croisières romantiques.

À ces personnes, lorsqu’elles me posent cette question, je réponds invariablement que l’idée qu’ils se font du Vietnam est à la réalité ce que la saccharose est au sucre : un succédané qui en a seulement le goût, et l’apparence. Certes, de temps à autre, le ciel ouvre ses vannes, et je comprends pourquoi les Gaulois n’auraient jamais pu vivre ici, craintifs qu’ils étaient que le ciel ne leur tombe sur la tête. Mais, non seulement cette eau céleste n’est pas froide, mais en plus elle n’arrête pas le pèlerin qui enfile simplement son imperméable et continue à vaquer à ses occupations, en sachant bien qu’après la pluie vient le beau temps. Et quel beau temps ! Un soleil vigoureux qui sèche en un rien de temps ce que dame la pluie s’est évertuée à mouiller…

Un vert qui se décline sur tous les tons.

Bon, je vous accorde qu’au zénith, l’astre des jours a tendance à se la jouer en transformant les rues en fournaise. Mais si cela n’était pas, aurais-je autant de plaisir à me prélasser dans un hamac, suspendu entre deux troncs d’aréquiers, en dégustant un ananas juteux ? Comme je les aime ces moments où la chaleur anesthésie le temps, où l’imagination vagabonde au rythme de ses pensées, tandis que le corps s’alourdit pour n’assurer que les fonctions minimales de circulation et de ventilation.

Pour tout dire, j’adore cette nonchalance de début d’après-midi des chaudes journées où l’on sacrifie à ce rite qui fait rêver nombre d’Occidentaux : la sieste ! La vraie, pas la petite, volée à un emploi du temps surchargé, sur une banquette de voiture ou la tête sur des bras croisés. La vraie, celle qui déplie les nattes, enlève les chaussures et ferme les yeux pendant au moins une heure, sans honte, ni fausse pudeur…

Vous en connaissez beaucoup de camions du côté des routes occidentales, qui arborent de magnifiques hamacs suspendus sous la carrosserie, pour permettre au chauffeur de faire la sieste à l’ombre de son véhicule ?

Mosaïque d’impressions

Quant à la jungle grouillante de serpents, si elle recouvre de-ci de-là quelques sommets montagneux, ou si elle vient border quelque route étroite, jamais je ne la fréquente. Si je m’aventure, ce n’est pas plus loin que dans le petit village qui groupe en rond ses petites maisons aux toits de lataniers, en lisière d’une végétation impraticable pour quiconque n’a pas le pied sûr du montagnard.

Et si serpents il y a, depuis de nombreuses années que je suis dans ce pays, les seuls que j’ai vus se trouvaient tronçonnés en morceaux panés, grillés, bouillis ou sautés dans mon assiette. Le Vietnam, ce n’est pas la jungle féroce des films d’horreur où les anacondas et les crocodiles ingurgitent à en avoir la nausée d’imprudents explorateurs ! Et si les buffles font partie du paysage, au même titre que le nón, ce chapeau pointu caractéristique du paysan des deltas, ils ne sont pas vindicatifs, tant s’en faut.

Combien de fois en ai-je croisé au détour d’une promenade qui, d’un pas placide de brave bovin satisfait du devoir accompli, cheminaient vers leur abri au crépuscule venant, conduit par un enfant débonnaire qui s’en faisait obéir d’un simple claquement de langue ou d’un coup de vergette bien senti.

Quant aux paysages, le Vietnam a largement de quoi satisfaire le plus éclectique des voyageurs : des rizières des deltas à celles en terrasse des montagnes, des vastes étendues d’hévéas ou de caféiers des hauts plateaux du Centre aux champs de théiers de la moyenne région, des immenses plages de sable blanc du littoral aux criques des îles de la Mer Orientale, des petites vallées cachant des rivières capricieuses aux grands fleuves qui s’étirent paresseusement dans les larges plaines.

Parcourir le Vietnam, c’est mettre ses pas dans une mosaïque de tableaux tout droit sortis de livres d’images ! Mais au-delà du spectacle de la nature, il y a la rencontre d’un peuple et des étonnements sans cesse renouvelés.

Jamais je ne me lasserais de pouvoir sourire à toute personne que je croise dans la rue, et qui me le rend avec autant de naturel, même le policier qui assure la circulation au coin du boulevard. Jamais je ne fatiguerais de cette intimité collective qui rend la vie en société si déconcertante, quand tout se voit mais rien ne se dit, quand tout se dit mais sans le dire, quand tout se voit sans le montrer. Jamais je ne cesserais d’admirer cette capacité à ne pas s’énerver même quand on est en colère, à ne pas vouloir perdre la face tout en cherchant à s’imposer, à ne rien imposer tout en arrivant à ces fins.

Comment mes pénates ne pourraient-elles pas se sentir à l’aise ici !?

Texte et photo : Gérard BONNAFONT/CVN

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