Étoiles filantes

Plusieurs lustres déjà que je le fréquente, et le Vietnam me réserve toujours des surprises, agréables souvent, irritantes parfois ! Voici les dernières.

>>Hanoï clair-obscur

>>Éprouvante métamorphose

>>C’est pas un cadeau

S’il est vrai que les voyages forment la jeunesse, il n’en reste pas moins qu’il faut garder le moral pour faire face à ses imprévus. La semaine passée vient de m’en fournir un bel exemple ! En général, quand on se déplace, sauf à vivre dans une roulotte ou sous une tente, on ne transporte pas sa maison avec soi. L’homo-turisticus a donc inventé l’hôtel, home provisoire qui permet de s’abriter et de se reposer après une longue journée de découvertes harassantes. Société de consommation faisant, l’hôtel se décline selon une gamme allant du gourbi au palace. À chacun de choisir en fonction de son budget et de sa vision du confort.

Disparition instantanée

Cette semaine donc, je reçois un couple d’amis qui arrive à Hanoï, après avoir remonté tout au long du pays depuis le Nam Bô (Sud). Le soleil qui les accueille à l’aéroport leur semble du plus bel augure pour faire connaissance avec la capitale. D’autant plus qu’ils ont eu à subir les caprices du ciel lors de leur voyage, notamment à Huê (province centrale de Thua Thiên-Huê), où la visite de la Cité impériale leur a laissé un souvenir humide !

La chambre d’hôtel que je leur avais retenue ayant été tout aussi humide, je ne voulais pas qu’ils quittent le Vietnam sur une impression spongieuse. Je suis donc parti à la recherche d’un hôtel se situant à un niveau étoilé suffisant pour que le cadre soit à la hauteur du plaisir d’y séjourner. En outre, je ne le voulais pas trop loin du Vieux quartier pour que les promenades vespérales ne se finissent pas en marches épuisantes. Je le souhaitais aussi dans une rue plutôt tranquille pour éviter que les nuits ne soient pas pires que les jours, challenge difficile quand on connaît la réticence du Vietnamien pour le calme absolu.

J’avais souvenir d’un hôtel à la façade art déco du plus bon aloi, et dont l’aspect cossu me paraissait répondre aux critères sus édictés. Et comme aujourd’hui, par le miracle d’Internet, il est possible de regarder par le trou des serrures sans se déplacer, je vérifiai, par écran interposé si le contenu valait le contenant. Les chambres étaient spacieuses. La clarté qui les baignait m’inspirait confiance. La salle de gymnastique consolidait le statut de l’établissement. Le buffet me semblait suffisamment copieux pour justifier les 3 étoiles dont s’enorgueillissait l’enseigne.

Pour des nuits étoilées, il existe de beaux hôtels au Vietnam.

Et en toute confiance que je cliquais sur le bouton «Réserver», scellant ainsi le sort de mes amis. C’est donc à cette adresse que le taxi nous arrête. Le porche monumental nous tend ses colonnes pour nous accueillir, mais j’aurai préféré voir accourir ces sympathiques grooms dont sont friands les hôtels vietnamiens. Nous n’aurions pas eu à transporter nos valises à l’intérieur de l’hôtel, ou plutôt de la banque ! Car c’est bien une banque qui est là sous nos yeux médusés.

La charmante réceptionniste qui nous accueille ne peut guère nous remettre les clefs de la chambre, mais pourrait nous inviter à ouvrir un compte bancaire, pour peu que nous prenions rendez-vous avec un conseiller. J’entrevois d’ailleurs la convoitise dans le regard du personnel derrière les guichets. C’est que ce n’est pas tous les jours que des clients viennent à la banque avec une valise… pleine de billets certainement ! Je n’ose leur dire que nous n’aurions que linge sale et menus souvenirs à déposer dans leur coffre, mais par contre, je m’étonne de la disparition de l’hôtel.

Avec un soupir de compassion, la préposée à l’accueil nous indique que l’hôtel a déménagé à 200 m de là, et qu’elle appelle son directeur pour qu’il vienne nous chercher. À la façon dont elle nous annonce cela d’un air désabusé, je soupçonne que nous ne sommes pas les premiers à nous être fourvoyés, ni les derniers.

Quelques minutes encore, et un monsieur essoufflé et quelque peu ennuyé vient à notre rencontre et nous convie à le suivre, non sans avoir à subir le courroux d’une réceptionniste qui commence à en avoir ras la coiffure de dire aux clients d’aller se faire voir ailleurs. À ce moment, le doute commence à m’assaillir, et je suis encore loin de ce que je peux imaginer !

Escroquerie organisée

Tirant nos valises, nous suivons l’hôtelier dans les rues animées du vieil Hanoï. Après avoir frôlé cent fois la collision avec toutes sortes de véhicules, nous arrivons devant ce que j’ai encore du mal à nommer hôtel.

Imaginez une façade lépreuse, suintant l’humidité, coincée entre deux masures du même type. L’entrée d’à peine deux mètres de large laisse entrevoir une réception qui donne plus l’envie de se sauver que d’être reçu. En place d’un hôtel 3 étoiles, nous sommes devant ce qui dans l’échelle hôtelière se place à peine au-dessous du zéro ! Impossible qu’une seule étoile ne brille au firmament de ce débris.

Le directeur a beau nous sourire, nous expliquer qu’il n’a pas eu le temps de modifier son site, nous donner d’autres explications, je n’écoute même plus tant ma colère est grande. Et je décide in petto que mes amis ne resteront pas une minute de plus ici ! Sauf que Hanoï, en cette période de l’année, est aussi courtisée qu’une bouteille d’eau en plein désert, et les chambres y sont rares. Tout au moins celles du niveau que je souhaite…

Faisant contre mauvaise fortune, bon cœur, mes amis s’installent dans une chambre qui rappelle leur galetas d’étudiant, et nous partons à la découverte du Vieux quartier. Non sans avoir pris la carte de visite de l’infâme hôtel qui affiche ostensiblement ses 3 étoiles !

Toute chose n’étant jamais totalement négative, après quelques pas dans la rue, je tombe en arrêt devant une immense façade immaculée, dont les décorations de Noël et l’enseigne dorée me paraissent rassurantes. Un portier en uniforme or et noir nous fait entrer dans un hall de réception, véritable cathédrale de lumière et de cristal. À la hauteur des 4 étoiles aperçues à l’extérieur ! Une armée de réceptionnistes s’active derrière un comptoir.

Prenant mon courage à deux mains, je m’enquiers d’une chambre disponible pour le lendemain. Seule mon éducation m’empêche d’embrasser affectueusement la jeune femme qui m’annonce que non seulement il y a une chambre qui vient de se libérer, mais qu’en plus elle me la propose au prix d’une chambre de qualité inférieure. Les étoiles ne sont pas que dans le ciel, ni sur la devanture, mais aussi dans les yeux de mes amis. Après l’enfer, ils savent qu’il existe un paradis au Vietnam !

À l’heure où je vous écris, mes amis, après s’être prélassés dans leur suite, profitent du restaurant panoramique. Je vais les rejoindre…

Texte et photo : Gérard BONNAFONT/CVN

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