Raconte-nous !

Vu de loin, le Vietnam peut paraître étrange pour des jeunes qui ne le connaissent que par ouï-dire. Et, quand l’occasion se présente, il n’est pas toujours inutile de remettre les pendules à l’heure.

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Depuis que je vis au Vietnam, il m’arrive de temps à autre de rendre visite au pays qui m’a vu naître. Je retrouve alors pour plusieurs jours les bruits, les odeurs, les couleurs de mon enfance. Mais, chose curieuse, j’ai à chaque fois la sensation d’y être étranger, d’autant plus que j’ai quelques difficultés à perdre mes réflexes de la vie vietnamienne. Et, je comprends que mes compatriotes puissent être étonnés, quand, bousculant quelqu’un, je m’excuse très naturellement avec un «Xin lôi» (Pardon) gêné, ou, lorsque quelque chose me surprend, je l’exprime par un «Roi» retentissant. Un jour, cette pratique instinctive du vietnamien dans la patrie de Molière m’a transformé en attraction involontaire…

Oreille attentive

Dans un train surchargé, je me trouvais debout, coincé au milieu d’un groupe bruyant de jeunes lycéens qui rentraient chez eux après les cours. Mon téléphone sonne. Rapide coup d’œil sur l’écran : le numéro d’appel vient du Vietnam, de ma famille. Donc, réponse impérative : on ne fait jamais attendre ceux que l’on aime. Ne pouvant m’isoler, je suis obligé de parler au milieu de l’aimable chahut lycéen. Et justement parce que l’environnement est bruyant, je dois élever la voix. Or, mon épouse et moi parlons naturellement en vietnamien. À peine ai-je échangé deux ou trois phrases que je perçois un changement autour de moi. Les conversations et les rires laissent progressivement place à des murmures étonnés. Même si mon oreille droite est occupée par la voix de ma femme puis de ma fille, mon oreille gauche est capable de capter les conversations à quelques centimètres de moi. «Qu’est-ce qu’il parle celui-là ?». «Je ne sais pas. C’est du roumain, non ?». «Mais, non, c’est du japonais». «T’y connais rien, c’est du chinois». «Oui, mais c’est pas un Chinois».

Le temps d’entendre ma fille me raconter ses dernières aventures d’école, je raccroche et décide de laisser macérer encore quelques minutes le groupe de lycéens dans son expectative. N’ayant pas encore échangé avec eux durant le voyage, ils ne savent pas si je parle français ou non. Incertitude levée quand, après les avoir laissé supputer encore quelques instants sur ma possible nationalité, je leur dis en souriant : «C’est du vietnamien».

J’aurais annoncé la fin du monde que je n’aurais pas eu étonnement aussi grand dans l’assistance. Parler chinois, roumain ou japonais passe encore, car ce sont des langues connues, enseignées dans les lycées, du moins pour les deux dernières, mais parler vietnamien semble relever de l’impossible.

Et chez vous, c’est comment ?

Pour ces jeunes français de 15 ans, le Vietnam appartient au monde des légendes. C’est un pays qui se trouve là-bas, quelque part au bout du monde. Certains l’ont entraperçu au détour d’une émission de télévision. Pour ceux-là, c’est un pays où les gens se déplacent en vélo. Les femmes portent des chapeaux pointus en paille, s’habillent avec des tuniques et des pantalons de soie. Les enfants se baignent tous nus dans les rivières ou vont à l’écoles à dos de buffle. Et les vendeuses se déplacent dans les rues avec des paniers sur l’épaule.

Pour d’autres, le Vietnam, ils ne le connaissent qu’à travers les films de guerre occidentaux où le héros est toujours le surhomme bodybuildé, qui à lui tout seul décime l’équivalant de la population d’une mégapole moderne, et qu’importe qu’ils soient innocents ou non !

Pour d’autres encore, le Vietnam, ce sont les souvenirs de vacances d’un oncle qui a fait un séjour dans le pays, en le parcourant du Nord au Sud en 15 jours, et qui prétend, bien sûr, le connaître à fond.

Cours improvisé

Face à autant d’idées reçues, et, profitant de l’aura d’aventurier que le petit groupe m’attribue pour m’avoir entendu parler dans cette langue étrange, je décide d’improviser un cours de sociologie et d’histoire sur le Vietnam. Là, dans le couloir d’un train qui traverse la campagne bourguignonne, entre forêts et vallons, je passe une heure à raconter mon pays, celui où je vis et que j’emporte dans mon cœur, à chaque fois que je m’en éloigne.

Les Ipod se débranchent, les yeux lassés de trop de Star Ac s’éblouissent, les étonnements de l’enfance étouffés par une société amère et culpabilisante se réveillent. Ils sont là dix ou quinze, assis par terre ou debout, ballottés par le roulis du train, qui découvrent un autre pays.

Je leur raconte les jeunes, qui se déplacent en moto, et qui se rencontrent à la nuit tombante autour du lac Hoàn Kiêm (au centre de Hanoi), ou devant les cafés. Ces jeunes, qui ont les mêmes rêves qu’eux : aimer et être aimés, trouver un travail, avoir une maison, voyager…

Je leur parle des danseurs de hip hop, qui démontrent leur art le soir, sur les places et esplanades. Je les surprends en leur expliquant que l’áo dài n’est plus porté que pour les cérémonies, et que depuis longtemps minishorts et jeans font partie de la mode quotidienne des jeunes.

Au fil de mon discours, ils découvrent le respect des jeunes pour les aînés, la solidarité omniprésente dans les familles, l’amabilité et la gentillesse d’un peuple qui honore ses ancêtres, mais d’une fierté farouche et prêt à défendre son indépendance becs et ongles.

Je leur décris le Vietnam moderne, aux buildings qui poussent comme des champignons, côtoyant les truculents marchés traditionnels. Je leur parle de chez moi, de la façon dont on vit au quotidien. Je leur explique que la nourriture n’a rien à voir avec l’accommodement culinaire des restaurants asiatiques en France.

Pour eux, je dessine un pays de montagnes et de rizières, baigné par l’océan. Je leur explique les maisons cent fois reconstruites et cent fois détruites par la furie des typhons. Étonnés, ils découvrent que le Vietnam est le premier exportateur de poivre, le deuxième de café et de riz…

Le train s’arrête, fin de l’histoire. Le groupe descend. «Merci, Monsieur, c’était drôlement bien !». Je ne sais pas ce qu’ils vont raconter à leurs copains, mais vu comme les yeux brillaient, je pense qu’un petit peu de mon histoire circulera demain dans la cour du lycée. Et qu’importe qu’ils mélangent un peu les buildings et les chapeaux pointus, les hip hop et la solidarité familiale, le culte des ancêtres et les motos le soir autour du lac.

J’espère simplement leur avoir donné envie de franchir le miroir des idées reçues et de découvrir un jour ce pays…

Texte et photo : Gérard BONNAFONT/CVN

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