Quoi de plus naturel !

Comme le dit la publicité, le Vietnam n’est pas avare de charmes, aussi cachés soient-ils. Il est vrai que parfois, il faut être persévérant pour les découvrir, avec quelques fois des surprises à la clé.

Depuis plus de 15 ans que je sillonne ce pays de long en large, je pensais ne plus avoir grand-chose à découvrir, même si je ne me lasse jamais de ce que j’en connais déjà. J’ai parcouru le Nord d’Ouest en Est en jouant à saute-mouton avec vallées encaissées et routes escarpées. J’ai exploré la baie de Ha Long à Quang Ninh et ses consoeurs de Cát Bà à Hai Phong.

La baie de Ha Long, dans la province de Quang Ninh (Nord-Est).
Photo : Truong Trân/CVN

J’ai bourlingué dans le Centre entre littoral et rivières souterraines. J’ai traversé les hauts plateaux par la piste Hô Chi Minh du pays des hévéas à celui des éléphants. J’ai salué Dà Lat (province de Lâm Dông) et fréquenté Nha Trang (province de Khánh Hoà). Je me suis trempé les pieds et plus encore sur les rivages du Sud. J’ai navigué sur le Mékong et transpiré à Hô Chi Minh-Ville. J’ai flâné de tunnels en arroyos. J’ai admiré Phú Quôc (Kiên Giang) et Côn Dao (Bà Ria - Vung Tàu). Bref, je croyais tout connaître de ce pays. Et pourtant, en cette première semaine de l’an 2016, il m’a encore réservé une belle surprise !

De nature pluvieuse

Depuis une semaine, il pleut sur le Nord. Hanoi s’est enrhumé et son nez coule, à engloutir d’humidité froides rues et monuments. Après l’atmosphère joyeuse des fêtes de fin d’année, malgré le scintillement des guirlandes qui illuminent la nuit, la ville semble comme engourdie. Fausse léthargie, qui prépare en douce le rythme effréné qui s’emparera de tous dans quelques jours, pour préparer la seule fête qui compte : celle du Têt Ta !

Pour l’heure, avec un couple d’amis, je décide d’aller voir ailleurs si le ciel est plus clément du côté des montagnes du Nord-Ouest. La bruine qui nous accompagne en sortant de la capitale ne me semble pas de meilleur augure, mais mon incurable optimisme me convainc qu’après la pluie le beau temps et que donc demain sera sans doute meilleur.

Nous traversons le pays du thé vert, entre bourrasques et averses. Les grands acacias qui veillent sur les rangées de théiers dégoulinent sur des sentiers boueux, et les grosses fleurs blanches et jaunes, qui déjà s’ouvrent sur les plants de thé, tentent désespérément de s’abriter sous les feuilles gorgées d’eau.

Cueillette du thé.

Après une nuit passée à grelotter sous une couette trop mince, nous reprenons espoir le lendemain en apercevant un ciel chargé de lourds nuages gris, mais qui semble avoir cessé de pleurer sur la disparition de 2015. L’esprit serein et les pieds au sec, nous prenons le temps de baguenauder dans les allées d’un marché local, H’môngs, Hoa, Dzaos et Thais se côtoient en un joyeux patchwork de couleurs.

La route nous conduit, une cinquantaine de kilomètres plus loin, à notre halte du jour, dans une petite bourgade qui s’étire le long d’une rivière indisciplinée. Le ciel se fait de plus en plus clément et nous autorise une randonnée entre rizières et forêt. Un pur bonheur que de croiser ces buffles débonnaires qui cessent un instant de brouter l’herbe des diguettes pour regarder passer ces étranges individus à l’odeur inhabituelle et à la peau blanche, avant de retourner à leur occupation de ruminant. Un réel plaisir d’être invité à boire le thé chez des villageois qui nous ouvrent la porte de leur modeste demeure, juste pour un moment, le temps d’un partage d’émotions où le regard et le sourire tiennent lieu d’esperanto. Et tant pis si la soirée est glaciale, s’il faut se nicher tôt sous d’énormes édredons pour trouver un peu de chaleur…

La surprise n’en est que plus grande le jour suivant, quand nous gagnons la vallée des rizières en terrasse. Le Vietnam nous offre l’extraordinaire sensation de voler dans les airs au-dessus d’une mer de nuages, lorsque nous émergeons d’une brume tenace, au sommet d’un col où le soleil nous accueille enfin.

Magnifiques les jeux de lumières sur le glacis des rizières fraîchement inondées ! Superbes les jeux d’ombre des gradins qui s’étagent à flanc de montagnes ! Ravissants les jeux de couleurs mauve et bleue, des fleurs en frise caressées par le vent ! Nous nous sentons d’humeur bucolique pour cette première journée de vrai soleil, depuis si longtemps.

Rizières en terrasse.
Photo : Thanh Hà/VNA/CVN

Nature accueillante

Mais le soleil, le vrai, celui qui chasse tout nuage pour transformer le ciel en azur éthéré, c’est le troisième jour que nous le découvrons, et en même temps qu’un endroit hors du temps. Un de ces endroits que le Vietnam garde secret et ne révèle qu’à ceux qui osent s’écarter des sentiers battus, ceux qui se permettent cette privauté d’aller ailleurs, là où la route semble se diluer dans un rêve. Ceux qui ont la curiosité de passer à travers le miroir.

Le temps est si beau que nous avons décidé de pique-niquer. Là, au sommet de cette montagne où la terre se confond avec le ciel, nous marchons d’un pas lent sur une route dallée de ciment, à la recherche d’un ombrage accueillant qui nous protégerait des rayons d’un soleil au zénith, le temps d’une conviviale collation. Là, à notre gauche, une prairie, bordée d’arbres à thé séculaires et de cyprès majestueux, semble nous inviter. Le coin est si paisible que seul le souffle du vent se fait entendre.

Nous nous installons sur une petite butte de terre, sous un parasol de feuilles de thé qui ondule doucement au-dessus de nos têtes. Tandis que nous mordons à pleine bouche dans un sandwich à la mortadelle de porc, nous entendons un bruissement sous de proches arbustes. Quelques secondes plus tard, un superbe cochon noir émerge des taillis et se fige en nous apercevant...

Après un moment de surprise entre bipèdes et quadrupède, ce dernier manifeste son étonnement par un grognement auquel répond immédiatement un second, suivi par l’apparition d’un second suidé, tout aussi noir que le précédent. Amusé de voir ces bestiaux peu farouches, je prends l’initiative de leur jeter un morceau de pain. Mal m’en prend !

Après un léger moment de réflexion porcine, devant une telle proposition, un des cochons noirs vient renifler le morceau en question et l’engloutit en un clin d’œil. Curieux de voir si l’animal est aussi peu farouche qu’il en a l’air, je lui jette des morceaux de plus en plus près. Poussé par sa gourmandise, celui-ci s’approche de plus en plus de notre table improvisée, et dans le même temps, sans doute attirée par les grognements de satisfaction, c’est toute une famille qui déboule dans notre salle à manger champêtre : truie énorme au ventre qui traîne à terre, horde de marcassins qui suivre le ventre aux mamelles gonflées, jeunes cochons d’une portée précédente qui n’ont pas encore décidé de vivre leur vie…

En moins de temps qu’il ne me faut pour écrire ces lignes, c’est une douzaine de cochons qui, pas rancunier de nous voir dévorer un des leurs, viennent tourner autour de nous pour quémander un quignon. Il nous faut à présent défendre notre territoire. Heureusement, il suffit de nous lever pour que les importuns prennent de la distance, tout en restant à portée de projection alimentaire au cas où… Quand nous quittons nos encombrants amis, nous avons quelques grognements de dépits en guise d’adieu.

Pendant trois heures, nous suivrons un sentier tortueux qui nous mène dans de petits hameaux H’môngs, aux basses maisons recouvertes de bardeaux. Ici, des femmes, assises au seuil des maisons, brodent des étoffes de lin et de coton ; là, des enfants taillent des toupies à grand coup de machette dans des planches de bois ; ailleurs, des mamans bercent des bébés emmitouflés dans de grosses couvertures, malgré la chaleur exceptionnelle de cette journée. Et partout, des petits cochonnets qui courent entre nos jambes, des buffles qui mâchonnent du foin de riz, allongés le long des murs, des poules qui poussent leur progéniture pour les mettre à l’abri dans les sous-bois… Toute une vie qui semble immuable et que nous perturbons à peine.

C’est un vieux monsieur, rencontré en chemin, qui nous accompagnera au terme de cette promenade hors du temps, sans rien dire, juste pour le plaisir de mettre ses pas à côté des nôtres. Nous nous quitterons sur un sourire, une chaleureuse poignée de mains, avant qu’il ne rentre dans une petite école pour aller chercher sa petite fille. Le bonheur simple d’une journée d’hiver ensoleillée, dans une nature pudique qui s’offre sans artifice : voilà un des charmes cachés du Vietnam que l’on aimerait garder jalousement pour soi !

Gérard Bonnafont/CVN

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