Propos sur le génie du tambour de bronze

En 1932, le gouverneur général de l'Indochine française Pierre Pasquier visitait un pauvre petit temple dans la région montagneuse du Thanh Hoa, à environ 200 kilomètres au sud de Hanoi.

Il s'agissait du sanctuaire du génie Dông Cô (Tambour de bronze) du hameau de Dan Nê. Le représentant de la France avait même présenté comme offrande cultuelle 25 piastres indochinoises. Le fait a été inscrit en français et en idéogrammes chinois sur deux stèles en pierre fixées à une falaise surplombant l'endroit.

Comment se fait-il que ce grand seigneur colonial daigne venir à ce coin perdu pour rendre hommage à une divinité ignorée par le commun des Vietnamiens contemporains ? Geste politique ou pure curiosité ethnographique ? Sans doute les deux.

Pasquier, administrateur colonial de carrière, présida au destin du Vietnam de 1928 jusqu'à 1934, quand il périt d'un accident d'avion. Témoin des émeutes nationalistes de Yên Bai des Soviets du Nghê Tinh de 1930, et habile pacificateur du pays, il se souciait des intérêts économiques de la métropole : "Il est naturel que les profits de l'Indochine reviennent aux Français", disait-il en 1930. Mais il était aussi partisan de la politique d'association préconisée par ses prédécesseurs Paul Bert et Albert Sarraut, étant marqué par l'idéologie kiplinguienne de la mission civilisatrice. Dans son livre L'Annam d'autrefois, il a fait une remarque judicieuse : "On n'en impose à ce peuple que par la sagesse, le savoir et la dignité morale, jamais par la force, en laquelle il voit une forme de barbarie". Point n'est étonnant qu'il rende hommage de manière ostensible au génie du tambour de bronze.

Le tambour de bronze pourrait être considéré comme le symbole de la culture la plus ancienne des Viêt, culture de l'Âge du bronze dénommée culture de Dông Son qui remonte au 1er millénaire avant J.-C. Il représentait la richesse et le pouvoir des chefs de tribus, il stimulait le moral des guerriers au combat, on le battait en temps de sécheresse pour demander la pluie au Dragon du ciel. Son culte a changé de motivation avec les dynasties royales du Moyen Âge.

Il y a quatre ans, par un matin ensoleillé d'automne, des représentants de notre Fonds suédo-vietnamien pour la promotion de la culture ont déposé pieusement dans la cour du temple Dông Cô de Dan Nê un superbe tambour de bronze. Ce don, œuvre du maître fondeur Nguyên Trong Hanh d'Y Yên-Nam Dinh est la reproduction du magnifique tambour de Ngoc Lu. Il est destiné à remplacer l'ancien tambour disparu depuis 1932, lequel avait été découvert par hasard par le gouverneur du Thanh Hoa, Nguyên Quang Bàng, cousin du fameux roi Quang Trung, et offert au temple (18e siècle).

La première reconstruction de ce sanctuaire remonte au 11e siècle, sous la dynastie des Ly, pour commémorer deux légendes. À l'époque semi-légendaire des rois Hùng, le monarque a campé une nuit avec ses troupes à Dan Nê lors d'une expédition lointaine. Le génie Dông Cô lui est apparu en songe pour lui offrir son aide. Effectivement, pendant le combat, les roulements de tambour ont galvanisé les soldats, permettant une victoire rapide. Le roi décerna à la divinité le titre de Dông Cô Dai Vuong (Grand roi du tambour de bronze)… Au 11e siècle, le même miracle se répéta pour le prince Ly Phât Tu bivouaquant au même endroit. Après avoir vaincu les Cham, il fut intronisé à la capitale où il y fit construire un autre temple Dông Cô au bord du Lac de l'Ouest (aujourd'hui, à Thuy Khuê, village Buoi), Hanoi. Le génie lui dénonça à temps un complot ourdi par ses trois frères. Le roi décerna à la divinité le titre de Thiên ha minh chu (Génie chargé de présider au serment de fidélité au roi). Depuis, la cérémonie très solennelle avait lieu chaque année au temple au 4e mois lunaire. Tous les mandarins de la cour devaient y participer pour prononcer la formule : "Le fils faisant preuve d'impiété filiale, le sujet qui viole la foi due à son roi, sera châtiés par les génies".

Après la Révolution d'Août 1945, qui a rendu l'indépendance au pays, le tambour de bronze a refait surface dans la conscience collective comme signe de ralliement national et symbole du patriotisme. Il a tant de choses à conter au fil des 3.000 ans d'histoire.

Huu Ngoc/CVN

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