Pierre qui roule

Le Vietnam est multiple, riche d’une culture millénaire, source de multiples étonnements pour un étranger. Et pourtant, parfois il peut rester si mystérieux qu’on en sait quoi en dire.

>>Toute modestie gardée

>>Café glacé sua da !

Dans l’avion qui m’emmène de Dà Nang à Buôn Ma Thuôt (Centre), mon voisin de siège dort comme un bienheureux. Pas moi ! Comme chaque semaine, je dois trouver un sujet pour cette chronique hebdomadaire et cette fois-ci, je suis sec. Que vous dire encore à propos du Vietnam ? Malgré les multiples scènes de la vie quotidienne, qui foisonnent d’étonnements pour un étranger, je n’arrive pas à trouver de quoi satisfaire votre curiosité cette semaine. Même en regardant la mer de nuages qui s’étire derrière le hublot, je ne trouve pas l’inspiration.

Avant le grain, la fleur ; après la fleur, le miel !
Photo : Daniel LOUVEL

Miel ou café ?

L’aéroport de Buôn Ma Thuôt (province de Dak Lak, sur les hauts plateaux du Centre) semble minuscule vu du ciel, et il l’est toujours vu du sol. Quelques pas sur le tarmac, et me voilà dans la salle de réception des bagages. Je ne sais pas vous, mais en ce qui me concerne, j’ai toujours l’impression qu’un préposé s’ingénie à faire passer les miens en dernier.

En regardant défiler sacs, colis, valises sur le tapis roulant, je continue à songer à ces lignes que je dois écrire avant ce soir. Maintenant que j’ai retrouvé le plancher des vaches et qu’autour de moi s’agitent des voyageurs pressés de poursuivre leur chemin, je devrais avoir matière à raconter.

Mais de Buôn Ma Thuôt et son café, j’ai déjà parlé récemment. Donc, hormis le déguster, confortablement installé dans un fauteuil du café, il ne reste rien à en dire. Sauf à vous conseiller l’endroit à l’heure où les grillons commencent leur concert, quand les arbres s’illuminent de cascades de lampes led.

Loin du bruit de la ville, dans une semi-obscurité, le café «chôn» a une saveur particulière. Le lendemain étant un autre jour, j’en profite pour aller visiter un village Êdê, dans la banlieue. Curieux mélange de maisons traditionnelles et de villas modernes, il donne le sentiment d’être entre deux mondes. Celui du passé, du temps des génies, des ancêtres protecteurs qui restent éternellement à nos côtés, et celui d’aujourd’hui, aux contours rationnels, à la rechercher d’un meilleur confort. C’est sans doute pour cela que nombre d’habitants ont conservé l’ancienne maison communautaire longiligne à côté de leur nouvelle maison.

Invité par l’un d’eux, je découvre un nouveau miel : le miel de café. Sot suis-je ! Le caféier produit des fruits, donc des fleurs (ou plutôt l’inverse), et les abeilles seraient bien stupides de ne pas profiter du nectar de ces petites corolles blanches. J’imagine que vous vous demandez si le miel a un goût d’arabica ou de robusta. Au risque de vous décevoir, je dois avouer que je n’ai guère trouvé de saveur de café dans cette gourmandise, hormis une certaine amertume de bon aloi. Mais la vie n’étant pas que de miel, je vous conduis ailleurs, du côté du lac Lak.

Les maisons Êdê s'alignent majestueusement le long de la route.
Photo : Daniel LOUVEL

Eaux du lac

Impossible de séjourner dans cette partie des hauts plateaux du Centre sans faire un détour par ce lac, pour profiter de son cadre sauvage. J’ai trouvé refuge au milieu d’un groupe de pêcheurs qui s’évertuent à prendre de petits poissons trop intelligents pour se laisser piéger par leurs hameçons. Assis sur la rive, j’observe les longues pirogues qui sillonnent le lac. Celles qui transportent des touristes sont repérables aux tâches orange des gilets de sauvetage dont on les affuble. Elles semblent répondre à d’autres tâches orange : celles des touristes qui tanguent sur le dos des éléphants.

De loin, lorsque les énormes bêtes traversent un bout de lac seuls leurs dos émergeants, on a l’impression de gros radeaux qui flottent au gré du vent. Parfois, dit-on, des cornacs malicieux font s’agenouiller le pachyderme, au grand dam des fonds de pantalons des passagers.

La nuit tombe doucement, je regagne mon hôtel, sans avoir trouvé de quoi me mettre sous la plume ! Le soleil est déjà haut quand je prends la route pour Dà Lat (province de Lâm Dông, sur les hauts plateaux du Centre). Quatre heures à travers des monts couverts d’une végétation luxuriante qui alterne avec d’immenses plantations de caféiers.

C’est justement le moment de la récolte. Les bords de route, les cours de ferme, les places de villages, sont recouverts de nappes de grains noirs qui sèchent en attendant de prendre le chemin de la torréfaction. Un court instant, je me dis que si un camion venait à écraser tout ce grain et qu’il tombe ensuite une pluie brûlante, les buffles pourraient boire dans les ruisseaux un puissant café !

Entre chimères et recherche désespérée d’inspiration, j’arrive à Dà Lat. Le «Petit Paris» a toujours son atmosphère de station jurassienne, avec ses forêts de pins et ses maisons-chalets.

Les serres de Dà Lat scintillent au soleil quand il fait beau !
Photo : Daniel Louvel

Eaux du ciel

Quand on est à Dà Lat, il faut prendre le petit train qui, sur 17 km, nous emmène à la gare de Trai Mat. Wagons en bois, sièges en face à face, rythme d’antan, une merveilleuse façon de plonger dans le passé. Sauf que lorsque je suis arrivé à la gare, le train était réquisitionné par une équipe de tournage pour un film que vous verrez peut-être dans quelques mois.

Pestant un peu contre ces importuns qui me privent de mon petit plaisir, je décide d’aller faire un tour sur le mont Lang Bian, pour prendre de la hauteur. Le ciel, si dégagé jusque là, décide de se couvrir d’un manteau gris et noir du plus mauvais augure. Les premières gouttes commencent à s’écraser sur le pare-brise de la jeep quand j’arrive au sommet. En guise de vue panoramique, je n’ai qu’un rideau de pluie qui masque le paysage. Je ne verrais pas de deltaplanes prendre leur envol, pas de petits chevaux caracoler au bord des pentes, pas de lac miroiter sous le soleil, pas de serres scintiller dans le lointain…

Un mauvais chocolat chaud au lait concentré, dans une salle où s’entassent tous les malheureux qui, espérant atteindre le nirvana, n’ont trouvé que les eaux du Styx.

Le ciel est plus clément quand je m’engage sur les rails qui me conduisent à la cascade Prenn. La spécialité locale étant la luge d’été, je ne m’en prive pas. Je retrouve une joie d’enfant à glisser entre les pins, me laissant griser par la vitesse, freinant au dernier moment dans les virages. En fait, la cascade m’intéresse moins que le moyen de transport pour y accéder.

En laissant la crémaillère nous hisser, ma luge et moi dans celle-ci, sur le chemin du retour, je constate avec effroi que je n’ai toujours pas le premier mot de l’article que va me réclamer incessamment ma secrétaire de rédaction préférée.

On a bien raison de dire que pierre qui roule n’amasse pas mousse, ou plutôt n’amasse pas inspiration !!!

Gérard BONNAFONT/CVN

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